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Questo testo appartiene a quella pamphlettistica minoritaria, che all'indomani dell'unità d'Italia, cercò di denunciare alla pubblica opinione quanto stava accadendo nelle provincie meridionali.

Non servì a nulla.

Appena dieci anni prima un mal di pancia di Poerio - come abbiamo già avuto occasione di sottolineare - inteneriva il cuore delle dame di mezza Europa grazie all'astuta propaganda inglese i cui interessi geopolitici si scontravano con la indipendenza del Regno Napolitano.

Ora, nei primi anni di unità, si faceva strame dello stesso statuto sabaudo, si passavano per le armi migliaia di contadini inermi come manutengoli dei briganti e nessun Mister Gladstone sentiva il dovere morale di intervenire contro tale massacro.

Un massacro che oggi alcuni equiparano ad un vero e proprio genocidio.

Ma i fantasmi della storia prima o poi si risvegliano, il tempo è "un chiacchierone, e per parlare non ha bisogno di essere interrogato. (Frammento, Euripide)".

Vecchi testi fatti sparire dalla circolazione o rinchiusi in biblioteche inaccessibili rivedono la luce. Scrittori, giornalisti, artisti, raccolgono la bandiera e fanno sentire la loro voce. I soliti tromboni del mondo accademico e giornalisti prezzolati fanno quadrato per arginare le verità che dilagano, ormai inarrestabili, sulla rete. Con qualche esagerazione. Peccatucci, se si pensa alla coltre di silenzio e di menzogne che è stata calata sulla formazione dello stato nazionale.

A Fenestrelle era stata posta una lapide, l'hanno spostata, troppo visibile, scatenava polemiche, dava fastidio. Ma non è così che si riunifica questo paese.

Zenone di Elea - 3 Maggio 2010

UNE

RÉVOLUTION A FAIRE

LETTRE A M. GLADSTONE

CHANCELIER DE L'ÉCHIQUIER

PAR

ADRIEN DE BRIMONT

PARIS

CHEZ TOUS LES LIBRAIRES

1863
(se vuoi, puoi scaricare il testo in formato ODT o PDF)

UNE

RÉVOLUTION A FAIRE

LETTRE A M. GLADSTONE

CHANCELIER DE L'ÉCHIQUIER

I

Au siècle dernier, Horace Walpole, voyant le succès couronner sa politique ambitieuse, de vastes colonies reculer les limites étroites de l'Angleterre, la marine britannique omnipotente sur toutes les mers, écrivait à un ami absent: «Vous avez laissé votre patrie une petite île qui vivait de ses ressources, vous la retrouverez la capitale du monde.»

Assurément, Monsieur le Chancelier, vous êtes encore en droit de répéter aujourd'hui ces fières paroles sans craindre de rencontrer des contradicteurs au sein de votre pays. Avec vous, nous avouerons que l'Angleterre a échappé, jusqu'à celte heure, aux tourmentes modernes qui ont détruit tant d'institutions en Europe, accumulé tant de ruines sans rien élever de durable.

Quand la Révolution, en grondant à Paris, à Vienne, à Berlin, à Naples, jette l'émoi et la consternation dans la vieille Europe, que ses secousses trouvent chaque

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fois plus défaillante et moins préparée, l'Angleterre, abritée a l'extérieur par ses antiques murailles de bois, protégée à l'intérieur par la sagesse de ses institutions, regarde passer l'orage avec une joie mal déguisée.

Grâce à ce privilège bien rare de n'avoir pas eu à bombarder d'émeute dans votre capitale, vous pouvez étaler, Monsieur, avec orgueil, une augmentation de bien-être, une diminution d'impôts, thermomètre infaillible d'une prospérité toujours croissante.

Dans le respect du pouvoir, dans l'amour sincère de la liberté, dont le peuple anglais se montre si profondément jaloux, la presse et le régime parlementaire trouvent des gages de vie séculaire, à ce point d'être pour vos voisins un sujet d'admiration et même d'envie.

Là ne s'est pas arrêté, Monsieur, le développement de l'Angleterre; vous avez encore disputé aux flots de l'Océan leurs rochers arides, et quand la mer vous les refusait, vous en avez créé de factices pour y surveiller, une longue-vue à la main, toutes les puissances continentales.

De Guernesey, d'Aurigny surtout, vous épiez la côte de Normandie. De Malte, vous avez les yeux dirigés vers l'Orient, et vous serez à Constantinople les premiers, pour y recevoir le dernier soupir du vieil Empire Ottoman, que vous soignez avec la sollicitude d'un héritier affamé. Dans l'île Maurice, vous avez un poste avancé, c'est la dernière étape avant Madagascar, la grande île de la mer des Indes, où vous conspirez contre les rois insulaires soupçonnés de trop aimer la France. Le dernier drame qui vient de s'y dénouer dans le sang, a été fomenté et exécuterons la direction d'un ministre anglican. De l'embouchure du Saint-Laurent, des Antilles continentales, vous observez les Américains, que vous laissez s'épuiser dans une lutte stérile pour eux, mais dont vous espérez bien retirer quelque avantage pour vous.

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Peut-être déjà auriez-vous escompté avec profit leurs désastres, si la conquête du Mexique par les armes françaises n'avait pas éveillé vos susceptibilités jalouses.

Enfin, faut-il vous rappeler, Monsieur le Chancelier, qu'à Gibraltar, à Helgoland, à Perim, à Aden, vous avez l'altitude de guichetiers ombrageux. L'air de défiance que vous prenez lorsqu'il arrive aux vaisseaux étrangers de s'approcher de vos nids d'aigle, dit assez quelle est votre pensée. Vous nous trouverez sans doute sévère, mais les précautions que vous avez prises semblent justifier ce langage.

Avec votre génie producteur et votre industrie cosmopolite, la prudence réclame, l'intérêt exige des échelles de navigation. Dès lors, il est aisé de comprendre qu'un rocher bien situé ait à vos yeux du prix. C'est au moyen de ces postes habilement dispersés sur la surface des mers, que les richesses du inonde affluent sur le marché de Londres.

Quelle est la plage déserte dans les mers les plus lointaines qui n'ait vu le pavillon de la Grande-Bretagne à la recherche d'un port, d'une baie propre à recevoir un comptoir? N'est-ce pas le pavillon britannique qui apportait l'ivresse de l'opium aux habitants du Céleste Empire? N'est-ce pas ce même pavillon qui convoyait dans le Pacifique les idoles fabriquées à Birmingham pour l'usage des peuplades sauvages? L'Angleterre, nous le savons, fournit tout sans scrupule, des dieux et des vices! La saine morale pourrait bien condamner ces divers genres d'industrie, mais votre commerce en souffrirait, Monsieur; n'insistons pas davantage.

Si ces faits provoquent quelque étonnement dans notre pays, cela tient aux profondes différences de mœurs qui nous divisent. Lorsque le drapeau de la France se déploie, c'est toujours pour redresser une injustice,

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pour venger une injure faite à la religion ou une atteinte portée à l'honneur national. Ses plis n'abritent que dos idées généreuses, jamais ils n'ont servi à cacher de honteux ballots. Enfin, ce drapeau, qui a flotté au-dessus de presque toutes les capitales, n'y est jamais entré que par la brèche et s'est toujours retiré pauvre. La France ne rançonne pas la gloire.

En pourrait-on dire autant de l'Angleterre? Tout est-il aussi désintéressé dans le subit accroissement de la «petite île» qui, du temps de Horace Walpole, «vivait de ses ressources!» Sur un théâtre singulièrement agrandi, sa politique n'est-elle pas marquée au coin d'un égoïsme brutal?

Les exemples se pressent en foule depuis que l'Angleterre est notre fidèle alliée. Au Maroc, en Syrie, en Sicile, au Mexique, à Madagascar, l'opinion n'a-t-elle pas flétri les coupables intrigues et les trahisons du gouvernement britannique?.

Quand on ne trouve pas la main de l'Angleterre dans une insurrection, on rencontre des armes fournies par elle, et, à leur défaut, toujours son or. Comme ces oiseaux que Buffon appelle les tyrans de l'air, au-dessus des mers se plaisent au milieu des tempêtes, parce qu'ils sont assurés d'y trouver plus aisément une proie, ainsi l'Angleterre suit les révolutions quand elle ne les fait pas naître, exploite les crises politiques pour satisfaire son insatiable cupidité.

Croyez-le, Monsieur le Chancelier, cette politique n'est pas sans danger; par cela même qu'elle cause la mort, l'arme la meilleure, menace toujours la main qui la dirige. Pour l'Angleterre le péril naissait surtout de l'impulsion donnée au système des nationalités; elle ne pouvait oublier que certaines possessions, considérées par elle comme les joyaux les plus précieux de sa couronne, sont autant de lambeaux arrachés à leur véritable patrie.

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Vous avez fait mieux que de céder à cet engouement des peuples pour une idée nouvelle, vous l'avez prévenue, Monsieur, en Grèce, afin d'être en mesure de la réprimer ailleurs.

En conséquence, lord Palmerston, votre maître à tous, qui sait distiller jusqu'au poison pour en extraire quelques gouttes de miel, prévoyant que les îles Ioniennes s'annexeraient à la Grèce, résolut aussitôt d'annexer la Grèce à ces îles, ce qui double naturellement l'importance du patronage anglais. A qui fera-t-on croire aujourd'hui que les menées britanniques n'ont pas précipité la chute du roi Othon? Qui n'aperçoit dans le souverain élu de ce royaume-problème, un vice-roi anglais résidant au Pirée?

Malheur aux petits États qui ferment leurs frontières à vos produits, qui repoussent les compagnies anglaises, qui refusent de vous inféoder leurs richesses, ils sont condamnés d'avance à recevoir des proconsuls de votre choix, mal déguisés sous une royauté nominale; ou bien vous les livrez tout vivants à la révolution, qui en fait la curée de compte à demi avec vous.

Telle est la seule explication permise de la conduite tenue par l'Angleterre vis-à-vis du gouvernement napolitain. Si le roi Ferdinand II vous avait sacrifié l'île de Sicile avec ses immenses richesses souterraines; si, dès 1838, il vous avait livré le monopole exclusif des nombreuses solfatares, auriez-vous désigné aux coups de la révolution le trône de son fils? Pourquoi hésiter à le dire, si vous aviez trouvé la famille régnante à Naples, disposée à se courber sous la tutelle honteuse d'un nouveau chevalier Acton comme on en vit un si triste exemple au siècle dernier, auriez-vous à la légère, bercé, propagé, exporté au loin celte doctrine unitaire italienne qu'un démocrate, profond penseur, n'a pas hésité à définir une négation brutale de l'histoire et de la géographie!


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II

Quel gouvernement songeait a faire l'Italie une, quand le premier boulet fut tiré contre l'Autriche en 1859?

Le gouvernement français se préoccupait si peu de cette idée, que, dans les préliminaires de Villafranca, il réservait solennellement les droits des duchés et posait les bases d'une fédération italienne.

L'Angleterre ne saurait prétendre davantage à la découverte de l'unité; elle ne l'a acceptée avec enthousiasme, que comme une occasion favorable de servir les rancunes qu'elle nourrissait contre la dynastie napolitaine et contre le chef de l'Église catholique.

La Prusse s'est fait longtemps solliciter avant de se prononcer avec maussaderie. Enfin, on sait comment la Russie, venue si lard à Turin pour y saluer le nouveau royaume d'Italie, a trouvé à son retour la Pologne insurgée pour réclamer son autonomie.

Qui donc voulait l'unité pour l'Italie? Était-ce elle même? Assurément, non. Ses mœurs, son organisme, son sol, son histoire, surtout son attitude présente, tout s'oppose chez elle à l'unité. La démocratie seule a conçu cette utopie; avec un patriotisme d'emprunt elle l'a racontée aux sols, elle l'a imposée aux faibles par l'intimidation. En un mot, c'est elle qui a mené le mouvement, elle qui a armé l'insurrection. Or, les révolutions, vous le savez, Monsieur le Chancelier, n'ont pas de programme de bataille, tracé d'avance par des mains délicates, dans des boudoirs dorés, comme cela arrivait aux généraux de Louis XV.

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Autre est la marche des révolutions; elles éclatent comme elles peuvent, tantôt dans des banquets, le verre à la main, tantôt derrière des cercueils: elles dépassent en vitesse l'électricité; leurs voix défient les éclats de la foudre; dans leur ivresse farouche, elles méconnaissent la main qui les a élevées et déchirent le sein qui les a nourries, jusqu'à ce qu'épuisées, impuissantes, elles finissent parla dictature militaire.

Rien ne caractérise mieux cette absence de tout programme, de toute entente commune, que les divisions survenues partout à la fois en Italie.

Avant la guerre de 1859, de profonds dissentiments rendaient le Piémont suspect aux autres États de la Péninsule. Au début de la guerre, le Piémont, qui répétait bien haut pour s'étourdir cette orgueilleuse parole: «Italia farà da sè,» s'est empressé d'appeler les étrangers pour chasser d'autres étrangers. Le lendemain du traité de Zurich, le Piémont violait la foi jurée la veille et payait la France d'ingratitude.

Plus tard, le comte de Cavour, à qui la démocratie avait montré le royaume de Naples comme la terre promise à ces déshérités des Alpes, accorda une lettre de marque à Garibaldi. A peine la révolution, avec l'argent du Piémont et le concours de la marine britannique, eut-elle envahi les Deux-Siciles, qu'aussitôt le cabinet de Turin lui retira avec précipitation sa proie encore toute saignante. Lorsque la démagogie voulut reprendre à ses risques et périls l'œuvre de l'unité laissée inachevée par le Piémont et marcher sur Rome, le gouvernement subalpin, qui professe pour les baïonnettes françaises un peu plus que du respect, trouva le procédé dangereux et y répondit par la fusillade d'Aspromonte.

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Rupture sanglante entre la maison de Savoie et la Démocratie, adversaires irréconciliables au fond, mais qu'un objet commun d'intérêt, l'Italie... avait passagèrement associées en vue du dividende à partager. Balle funeste, qui vint mourir au talon de la révolution en déroute, alors qu'on aurait voulu la frapper au cœur. Puisse la révolution, lorsqu'il lui sera donné de liquider cette dette avec la royauté, ne pas atteindre plus sûrement un but qu'elle s'exerce à viser depuis tant d'années!

D'une union aussi troublée, il était difficile d'augurer une unité durable. Un malaise général se fit bientôt sentir dans la Péninsule tout entière; annexés et annexionnistes se surveillèrent, se soupçonnèrent, se dénoncèrent. Comme un parvenu gâté par la Fortune, le Piémont s'imagina que pour dissiper tous ces mécontentements, il suffirait de redoubler de rigueur. Alors l'insurrection, qui était déjà dans tous les esprits, arma bientôt tous les bras. Propagée comme une traînée de poudre, elle enveloppa tout le Sud et prit une extension effrayante.

On pourrait poursuivre cette étrange peinture jusque dans le sein du Parlement unitaire italien, et montrer comment l'harmonie règne peu entre ses membres. Messieurs Rattazzi et Minghetti n'ont-ils pas offert tout dernièrement un singulier exemple de concorde, en recourant à l'épée pour défendre leur politique d'union? Que dire enfin du général Cialdini, donnant l'ordre de détruire son rival Garibaldi.

Quel beau sujet d'études, Monsieur le Chancelier, que cette unité rêvée par des partis courroucés, par des ministres jaloux, par des hommes haineux! Quelle sarcastique devise que ces mots: «Italia una» prononcés par des Italiens qui se défendent d'être unis à coups de fusil! En face de ces honteuses misères du présent,

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comme le passé aurait raison et trouverait aisément des défenseurs!

En voyant l'unité imposée à main armée par le Piémont aboutir directement à la haine et à la guerre civile, on retrouve dans la solution proposée par la France à Villafranca et à Zurich toute la prudence et la modération que réclamaient les circonstances et la disposition des esprits. En effet, l'histoire montre que la confédération seule est le mode futur de l'indépendance italienne, parce qu'elle laisse à chacune des nationalités si diverses et si justement fières de la Péninsule, son nom, sa capitale, ses mœurs, sa langue, sa dignité, son poids personnel dans l'ensemble. La conquête et l'unification par le Piémont n'est qu'un rêve sanglant et éphémère. Ce n'est pas le Piémont qu'il faut agrandir, c'est l'Italie qu'il faut constituer libre et indépendante. Telle était la pensée de l'Empereur. Suivie sans détour, elle aurait eu pour conséquence de limiter l'ambition du Piémont, de rétablir les princes dans les Duchés, de maintenir l'intégrité des États du Saint-Siège. Dès lors l'Italie était affranchie, pacifiée, et les nations étrangères noblement exclues d'une cause pour laquelle elles n'avaient rien fait. La confédération naissait; la révolution le crut, elle en eut peur et proclama l'unité italienne, qui est devenue aujourd'hui l'anarchie en permanence.

III

Au milieu de ces récentes crises traversées par la Péninsule, quelle fut l'attitude de l'Angleterre? Dans le silence du cabinet, lord Palmerston, éclairé par le sombre flambeau des probabilités, pesait les chances diverses du redoutable problème qui se présentait pour l'Italie;

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puis après avoir combiné toutes les données de désordre, aligné tous les éléments de conflagration, il laissa aux événements le soin d'en déduire l'inconnu, bien disposé à prendre la meilleure part dans la solution. Lorsqu'il fallut du canon pour assurer l'indépendance italienne dans les plaines de la Lombardie, l'Angleterre, gouvernée par le cabinet du noble lord, ne voulut donner «ni un homme, ni une guinée,» elle sait que l'intrigue lui réussit mieux. Mais lorsque François II, qui s'était couvert de gloire sous les ruines de Gaëte, fut contraint de se retirer à Rome, aussitôt le gouvernement anglais s'empressa de féliciter avec courtoisie les nouveaux propriétaires du trône de Naples. Il applaudit à la brutale spoliation qui allait réduire le Pape à vivre d'aumônes, et souhaita bonheur et prospérité au jeune royaume d'Italie, qui naissait dans une mare de sang de l'union adultère du pouvoir royal avec la démagogie.

Cet étrange empressement, croyez-le, Monsieur, n'a trompé personne. En effet, pour la protestante Angleterre, chaque coup porté au chef de la religion catholique est une de ces victoires dont elle espère toujours plus qu'elle ne rapporte. Pour la nation rivale de l'influence française, il y avait espoir de trouver un auxiliaire naturel, un docile levier dansées vingt millions d'Italiens, mobiles dans leurs sympathies, et souvent provoquants avec leurs voisins, qui s'armaient aux portes de la France. Ces réflexions expliquent suffisamment pourquoi vous avez donné la main à l'unité de l'Italie et comment vous entendez au besoin exiger son concours.

Du reste, nous savons que pour n'être pas pris au dépourvu, à Turin, vous faisiez des vœux contre l'Autriche,

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tandis qu'à Vienne vous chuchotiez à mots couverts contre Turin; car l'Angleterre a une vieille amitié en Allemagne qu'elle soigne avec autant de mystère que de coquetterie.

Qu'avez-vous donc fait pour la cause italienne qui ait l'air d'un sacrifice? L'avez-vous aidée en versant votre sang comme la France dans les funèbres sillons de la Lombardie? Avez-vous relevé avec votre or, son crédit chancelant et soutenu ses finances appauvries? Cherchez-vous à pacifier ses divisions; h calmer ses susceptibilités; lui prêchez-vous le calme et la modération?

Que "l'Italie périsse dans l'anarchie, qu'importe! pourvu que votre politique triomphe. Exciter la révolu lion contre Rome, éloigner de Naples une restauration jusqu'au moment où elle vous trouvera solidement établis en Sicile, animer l'Italie contre la France, voilà le dernier programme du cabinet britannique; voilà sa pensée secrète, sans doute; mais caressée avec si peu de retenue qu'elle n'échappe à aucun œil.

Les destinées de l'Italie semblent être renfermées dans la vieille fable des sirènes, si souvent redite, si rarement comprise.

Du jour où, cédant aux séduisantes avances de l'Angleterre, les Italiens s'abandonneront sans réserve à ses promesses, lui livreront la conduite de leurs affaires, nul doute qu'ils ne deviennent bientôt la victime d'Albion, la trompeuse.

Déjà minée par la fièvre d'une unité malsaine, l'Italie trouvera au fond d'une coupe empoisaaftée où l'on saura mêler à dose égale la haine contre le catholicisme et l'ingratitude envers la France, les atteintes d'une dissolution sans remède!

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IV

«Pas de zèle, surtout pas de zèle,» disait l'un des hommes d État les plus habiles qu'ait produit le siècle. Quelle éloquence ces paroles n'empruntent-elles pas aux étranges innovations qu'on veut imposer à l'opinion? Il est évident que l'unité ménagée si mal à propos à l'Italie n'était ni dans ses goûts, ni dans ses aptitudes; car à peine lui e*ut-on procuré ce fruit inconnu pour elle, qu'aussitôt elle l'a rejeté.

Depuis cet essai désastreux, qui oserait dire, Monsieur, avec vous, que la Péninsule a prospéré? Quel a été le résultat de celte expérience si fort applaudie par certains hommes politiques, qui s'étaient englués eux mêmes à une idée folle?

En vertu du principe des nationalités, l'Italie, qu'on voulait une, s'est divisée, tandis que la Pologne, que l'on désirait tenir partagée, a brisé ses liens et fait d'énergiques efforts pour reconquérir son unité!

Hors des cas désespérés et dans des conditions particulières, l'humanité s'indigne de voir un médecin tenter sur ses malades une de ces expériences qui, en faisant marcher la science, tuent toujours le patient. Lorsqu'il s'agit de plusieurs millions d'hommes, de tels essais font frissonner! C'est pour cela qu'il convient de se tenir en garde contre la séduction des mots, alors même qu'ils expriment une idée généreuse. Naguère en France, une voix éloquente, s'échappant de la poitrine d'un moine devant un auditoire solennel, vantait en beau langage la démocratie américaine.

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La liberté, telle que nous la désirons en Europe, avait enfanté, disait-il, de l'autre côté des mers, un gouvernement durable, elle avait fondu les éléments les plus inconciliables dans une unité compacte et solide... Un cruel démenti ne s'est pas fait attendre. Aujourd'hui nous savons comment on s'aime en Amérique, comment on y pratique la liberté.

Les hommes politiques de noire temps ont vu les mêmes phénomènes se reproduire au milieu d'eux sans se montrer ni plus prévoyants ni plus circonspects à l'endroit des théories nouvelles; ils ont cru que les peuples renieraient toutes les gloires de leur passé, se jetteraient dans des voies inconnues, avec autant de facilité qu'eux-mêmes oubliaient parfois leurs antécédents politiques et les traditions de leur parti.

M. de Cavour a montré ce que l'on pouvait attendre de ces systèmes aussi égoïstes que pernicieux. Mal à l'aise sur un terrain étroit entre les Alpes et la mer, le ministre sarde voulant montrer que l'impuissance de sa position n'était pas l'impuissance de l'homme, résolut d'élever sou pays au rang des plus grands Étals; dès lors, il prit pour maxime les paroles qu'adressait au siècle dernier Victor-Arnédée de Savoie 'n son fils: Le Milanais est un artichaut qu'il faut manger feuille à feuille. Seulement, M. de Cavour les appliqua assez indistinctement à l'Italie tout entière. Il est inutile de faire remarquer ici que l'appétit du Piémont fut bien vite à la hauteur du programme. Sans même songer que la Péninsule ne s'était jamais prêtée de bonne grâce à une semblable absorption, et que le royaume des Deux-Siciles avait lutté avec acharnement de 1799 à 1812, contre une occupation étrangère, le Piémont se mit à l'œuvre avec gloutonnerie,

Les auteurs du traité de 1815 n'ont pas été mieux inspirés à l'égard de la Pologne, lorsqu'ils repartagèrent le gâteau,


vai su


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suivant la pittoresque expression de Frédéric II

Sans

doute, la nation polonaise a trop souvent employé son énergie à déchirer son propre sein; ses éternelles divisions l'ont livrée épuisée et mourante à ses ennemis; mais hâtons-nous d'ajouter que le sentiment indélébile de sa nationalité a survécu à tous ses désastres, au partage de 1772, au remaniement de 1793, à la division de 1815.

Malgré ces enseignements, si pleins de vérités sanglantes, le cabinet de lord Palmerston, ne s'est-il pas fait, Monsieur, l'apôtre le plus intolérant du système cruel de la non-intervention?

De son côté, la diplomatie, en s'enchaînant elle même à ce principe démagogique dont elle fait l'apologie en public, mais qu'elle désapprouve tout bas, a vu depuis ce jour son influence dépérir; tout ce qu'elle veut maintenir succombe, tout ce qu'elle veut modifier subsiste. Ici elle impose au royaume des Deux-Siciles une unité que celui-ci repousse les armes à la main, après trois années d'une expérience désastreuse. Là, elle laisse se consumer dans de persévérants efforts le mouvement polonais, qui aspire à l'autonomie.

Singulière contradiction: Les traités de 1815 ont été déchirés pour l'Italie; mais on semble les river de nouveau aux membres meurtris de la Pologne, et lorsque la nation polonaise vous demande, Monsieur le Chancelier, ce que vous avez octroyé à l'Italie, presque malgré elle, vous la renvoyez aux articles qui consacrent son démembrement.

Quand, à son tour, le royaume de Naples, pillé, meurtri, ruiné, proteste d'une façon lamentable contre la jonglerie qui l'a privé de son autonomie et réclame la division, vous lui répondez: «Nous avons reconnu le royaume d'Italie.»

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À tous les peuples qui, ne pouvant appuyer la force de leur droit par le droit de la force, imploreront votre assistance, aurez-vous toujours la même réponse à leur opposer «le fait accompli?» Cette parole si pleine d'amère ironie pour les faibles et les vaincus, les Romains la connaissaient aussi, lorsque, réunis dans l'amphithéâtre, ils étendaient la main pour qu'on achevât le gladiateur râlant sur l'arène rougie de son sang. Cela devait s'appeler le fait accompli. Aujourd'hui, les cabinets européens, comme des juges en champ-clos, debout et impassibles, en face de Naples et de la Pologne aux prises avec leurs bourreaux, attendent l'issue du combat pour proclamer les droits du vainqueur. On peut trouver celte façon d'agir peu compromettante, théâtrale surtout; mais nous avouons qu'elle est dégradante pour l'humanité et tout au moins dangereuse pour tous les gouvernements. Car si la loi du plus fort descendait du général au particulier, en vingt quatre heures elle ramènerait le monde à la barbarie la plus intense. Les hommes se livreraient à la chasse de leurs semblables, et les plus forts, à la façon des Pietes vos ancêtres, Monsieur, compteraient leurs exploits par le nombre des chevelures pendues à leurs ceintures.

V

Il y a douze ans environ, un honorable membre de la Chambre des Communes s'arrêtait à Naples. Il ne venait pas demander au ciel du golfe ses douces brises, aux Studij leurs richesses artistiques, à Castellamare et à Sorrente leurs enivrantes rêveries, au Vésuve ses émotions si saisissantes.

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Le voyageur était poursuivi depuis les rivages de la Grande-Bretagne par une idée fixe qui ne lui laissait aucun repos; il fallait à tout prix qu'il découvrît a Naples des détenus politiques soumis à de cruelles tortures, livrés à

l'ergastolo, suspendus à des gibets ou fumants sur des bûchers.

Mais comme a celte époque, pour l'honneur de l'humanité, l'Europe ne recelait aucun État où l'on commît de pareilles horreurs, le représentant d'Oxford, pour cacher sa déconvenue et noircir les feuillets de son album de lugubres peintures, fut forcé de s'adresser à de complaisants amis.

Il est surprenant de voir avec quelle facilité naïve les Anglais, voyageant en Italie, accueillent avec crédulité les imputations les plus grossières lorsqu'elles touchent aux cours de Rome et de Naples. Dernièrement au Parlement anglais, l'honorable M. Bentinck, dans un discours où la raillerie fine se mariait à une inexorable logique, a prouvé que les rapports de sir J. Hudson et du consul-général Bonham, pleins de partialité pour le Piémont, traitaient avec un peu trop de sans-façon la vérité.

Malgré cet avertissement sévère donné à la diplomatie anglaise en Italie, un gentleman, accrédité officieusement auprès du Pape, n'a pas craint de dénoncer sérieusement à son gouvernement la fraude insolente des brigands napolitains «qui osaient acheter aux juifs du Ghetto de vieux uniformes français, qu'ils faisaient passer sur la frontière napolitaine dans des barils à harengs (1).»

L'honorable gentleman qui voyageait à Naples en 1851, préoccupé par le désir de faire des découvertes, se montra très-facile à les admettre sans examen.

(1) Discours de M. G. Bentinck, séance parlementaire du 8 mai.

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- Le parti révolutionnaire inventa donc pour le séduire un Poërio martyr de la liberté, privé d'air et de nourriture, jeté sur une paille pourrie au fond d'un cachot sous-marin qui laissait suinter de fétides émanations. Malheureusement pour le représentant d'Oxford, M. Poërio, oubliant un jour son masque, eut la faiblesse d'avouer qu'il avait toujours été très-confortablement détenu au château de Montesarchio, où on le nourrissait, dès le mois de mars, aux petits pois; ce qui était fort hygiénique et passablement délicat de la part de ses bourreaux. On inventa ensuite M. Settembrini, condamné aux doubles fers pour la vie, torturé à faire pâmer d'effroi ceux qui avaient soutenu la vue des victimes de l'Inquisition dans le tableau de Robert Fleuri.

Celle fable eut un plein succès, elle fit verser bien des larmes en faveur de Settembrini qui devint, malgré lui, un grand homme, sans que ses membres aient été meurtris par les ongles de fer ou les réchauds ardents du roi Ferdinand II.

Il fallait encore au noble insulaire beaucoup de condamnés politiques; on lui en trouva tout à coup 20,000 également dignes de pitié, également victimes de la plus noire ingratitude. Il désirait aussi pouvoir dire que les prisons du roi de Naples étaient des lieux immondes, où les droits de l'humanité étaient ouvertement outragés. On lui fit de la Vicaria un tableau si effrayant, qu'il n'hésita pas à décorer cet établissement pénitentiaire du nom de charnier. Enfin, l'honorable gentleman pour sceller sa brochure par un mot d'éclat, pour la relever par un irait de haut goût, s'écria avec indignation: «Le gouvernement de Naples, c'est la négation de Dieu (1).»

A peine cette bombe à la Orsini eut-elle éclaté dans la presse anglaise, qu'une foule de sectaires armés

(1) Lettre à lord Aberdeen, 1851.

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en tirailleurs se mirent à continuer l'attaque avec acharnement.

Aidé de leur concours, le Piémont, qui s'est attribué la mission de satisfaire tous les mécontents, de guérir toutes les plaies faites par la tyrannie, s'empara de Naples pour donner libre carrière à ses théories d'affranchissement et de régénération en faveur des populations italiennes.

Le changement plut si fort à l'honorable gentleman, que ne se sentant plus d'aise, il réclama, sans déguisement, une part dans la révolution qui venait de s'accomplir dans le royaume des Deux-Siciles. De son côté, lord Palmerston, chassant toute fausse modestie, se décerna, au sein du Parlement, des éloges assurément très-mérites, «sur les innovations auxquelles il avait prêté la main.»

Le pamphlet une fois lancé fit son chemin et valut à l'auteur un immense succès d'estime auprès des démocrates italiens qui n'avaient pas encore rencontré d'apologiste aussi hardi, d'avocat aussi passionné. On déclara, à la façon antique, que le représentant d'Oxford avait bien mérité de la patrie italienne. Quelques branches de laurier, quelques sonnets d'occasion adressés au philanthrope anglais, achevèrent sa réputation. Dès lors son nom devint l'effroi des tyrans, l'espérance de tous les persécutés, à ce point, qu'aujourd'hui encore, aucun Anglais ne peut se rendre à Naples sans y courir le risque d'y être pris pour le voyageur de 1851, par tout un peuple qui a soif de justice.

Nous laissons la parole au spirituel représentant de Taunton, M. G. Bentinck: «Je ne veux pas me hasarder à exprimer mon opinion sur l'honorable gentleman; mais je lui dirai ce que les Napolitains disent de lui: Où est nostro Gladstone? où est ce grand homme d'État, qui à l'heure de notre détresse levait son bras puissant pour nous seconder?

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Il était alors dans l'opposition et aujourd'hui il a entraîné le noble lord, son ennemi politique acharné, à agir selon ses vues. Comment se fait-il, quand nous sommes châtiés aujourd'hui, non avec le fouet, mais avec des scorpions, comment se fait-il que le grand homme d'État, il nostro Gladstone ne remue même pas le petit doigt pour venir à notre aide (1).»

Si cet appel ne réveille pas en vous, Monsieur le chancelier, ces sentiments d'humanité qui vous valurent une si grande popularité dans la Péninsule, rappelez-vous avec quelle indignation calme des hommes indépendants, vos illustres collègues, les Lennox, Maguire, Bowyer, Bentinck, Cochrane, Walsh, dénonçaient hier au Parlement anglais les infamies du gouvernement subalpin à Naples. Écoutez dans la Chambre unitaire italienne comment de fougueux démocrates, les députés Ferrari, Massari, Nicotera, Crispi, Cappone, Bixio, Ricciardi flétrissent

«le régime de sang et de boue,» inauguré dans le royaume de Naples.

Lisez encore, dans la presse qui ne porte pas la livrée du Piémont, lisez cette lugubre chronologie de turpitudes et de sang. Allez enfin, Monsieur, au milieu de «cette nation en deuil,» affronter les imprécations de ces trente mille prisonniers politiques sans pain, sans air, quelquefois même sans haillons. Bravez les cris de désespoir des veuves, des mères, des filles de ces treize mille fusillés, «pour la plupart innocents,» comme l'a dit publiquement le démocrate Micelli. C'est la raison et le bon sens qui s'insurgent aujourd'hui dans toutes les âmes honnêtes à la vue de ces deux nations sœurs, la Pologne et Naples, livrées à des bourreaux avec un raffinement d'effronterie et de cynisme que rien n'explique.

(1) Séance du 8 mai 1863.

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A vous, Monsieur, une noble et impérieuse mission semble réservée; il y a quelques années, vous avez protesté avec une fougueuse éloquence contre les abus du gouvernement de Ferdinand II, aujourd'hui il vous appartient d'opposer un frein aux atrocités commises sous le sceptre du roi galant-homme dans les provinces napolitaines. Vous le pouviez bien en 1851, vous le devez en 1863, l'humanité et la justice l'exigent.

VI

Que Monsieur le chancelier de l'Échiquier daigne examiner l'état actuel des provinces napolitaines, il trouvera qu'il doit une réparation au passé, et aux malheureuses populations une protection efficace et prompte.

Nous en appelons aux sentiments d'impartialité de l'honorable gentleman; en retour nous lui offrons la vérité sur Naples: n'est-ce pas le plus beau présent qu'on puisse faire à un adversaire?

Sur quelles raisons s'appuie le chancelier de l'Échiquier pour se réjouir du système adopté à l'égard de l'Italie méridionale par le gouvernement subalpin?

D'abord, dit-il, «la presse et la représentation y sont libres.» Que ces choses s'écrivent pour le ciel de Naples où tout est harmonie, rien de mieux; mais la politique du fait accompli accommode un peu légèrement ce qu'elle rêve avec ce qui existe.

S'il en était ainsi, on pourrait se demander pourquoi le Piémont engage au mont-de-piété de l'Europe ses derniers effets publics, afin d'entretenir à frais ruineux

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La Presse n'a qu'une liberté à Naples, celle de se vendre, à moins qu'elle ne préfère mourir; veut-elle rester indépendante, elle est assurée d'être décapitée par les ciseaux de la censure, réduite à la misère par des amendes qui ruineraient un banquier; elle est traquée, emprisonnée, poignardée. Le journalisme compte plus d'invalides à Naples que certaines armées n'en ont eu le lendemain d'une action meurtrière.

Allons aux preuves. On a vu jusqu'à vingt-neuf saisies

(1) Séance parlementaire du 27 juin.

(2) Voir

Colpo d'occhio su le condizioni del Reame delie Due Sicilie, nel corso dell'anno 1862.

(3) Dépêche du 2 avril 1862.

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de journaux indépendants en moins de dix jours; une seule feuille religieuse en moins de deux ans a dû subir environ vingt-cinq saisies. Fait inouï dans un pays libre; le gérant du journal L'

Eco a été décrété de prise de corps, emprisonné, mis au pain et à l'eau, jugé, condamné à deux ans de prison et à 7,000 francs d'amende, pour un mot équivoque sur

l'Unité italienne.

Il existe un trait plus hideux encore dénoncé au parlement par le député Nicotera: à Noto, un jeune écrivain de talent, Mariano Salvo la Rosa, directeur du

Democratico, pour avoir écrit un article contre le préfet, fut arrêté et jeté dans un cachot si malsain que, quelques jours après, on l'y trouva mort (1).»

Est-ce ainsi que Monsieur le chancelier entend la liberté de la Presse? Nous sommes cependant certains qu'il ne voudrait pas imposer cette liberté-là au journalisme de son pays.

Ouvrons maintenant la nécrologie des journaux condamnés à mort, la liste en est longue, nous l'abrégerons. Ont succombé les journaux suivants dont les bureaux et les presses typographiques ont été préalablement saccagés et brisés, les gérants et les employés maltraités, souvent même blessés grièvement.

L'Aurore, L'Araldo, L'Alba, la Croix-Rouge, le Courrier du Midi, le Catholique, l'Equateur, l'Expérience, le Flavio Gioia, la Gazette du Midi, la Semaine, l'Étoile de Naples, la Presse Méridionale, la Tragi-Comédie, l'Unité Catholique, Napoli, Il Ciarlatano, la Borsa, Babylonia, Padre Rocco, Ciabattino.

Que dire de la représentation libre dont l'honorable chancelier de l'Échiquier a fait l'apologie? Nous le prions de se pénétrer du calcul suivant que nous empruntons à un journal italien Il Dovere:

(1) Séance du 28 novembre.


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«Dans quarante collèges électoraux représentant environ deux millions de citoyens, il n'y a eu que trente-neuf mille six cent quatre-vingt dix-sept électeurs inscrits. Moins de deux citoyens sur cent eurent donc le haut honneur de pouvoir élire leurs représentants. Il y a au parlement, des députés élus par moins de cent voix et représentant cinquante mille citoyens. Croyez-vous qu'avec une telle méthode, on puisse dire qu'on jouit d'une représentation nationale? Non jamais. Si en moyenne il y a mille électeurs par collège, s'il n'en vient voter que la moitié, si les députés sont nommés par un tiers environ de ces cinq cents; si l'on ôte de ce tiers les votes des employés du gouvernement, des complaisants de l'autorité, etc., voyez à quoi se réduit la représentation légale de la nation?»

Passons aux exemples: à Naples, pour la section du Marché, qui compte près de deux cent mille habitants, M. Paolo Cortese a été élu au Parlement italien par quarante-trois voix contre quarante et une données à son compétiteur, encore la majeure partie de ces électeurs se composait-elle d'employés piémontais.

De tels faits se passent de commentaires.

VII

M. le chancelier de l'Échiquier, qui voit avec délices la manière dont le Piémont distribue, le sabre au poing, la félicité aux pays annexés, nous affirme «qu'une preuve certaine des sympathies du peuple napolitain pour l'unité italienne se trouve dans le fait de l'existence d'une garde nationale. Si elle était hostile, le gouvernement piémontais permet!rait-il un seul instant que cette force continuât à être armée?»

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M. le chancelier soulève bien timidement un des coins du voile qui cache la politique du Piémont, mais il n'ose aller plus loin: dire vrai n'est pas assez, il faut encore dire tout, et ajouter que la Gazette officielle de Turin est remplie chaque semaine de décrets dissolvant les gardes nationales et les corps municipaux pour complicité avec les brigands et manque de zèle envers le gouvernement.

On lit dans ce recueil (juillet 1863): «Par décrets royaux, ont été dissoutes les gardes nationales d'Agira, de Giffoni, Vallepiana, de Melissano, de Racale, de Tuglie, de Bisaccia, de Spino, de Salcito, de Borghetto, de Campobello, de Ravanusa, deRocca di Mezzo et de Gravina.»

Et plus loin: «Le conseil-général du comté de Molise vient d'être dissous, ainsi que les conseils municipaux de San Giovanni (province de Girgenti), de San Giovanni Liponi, de San Tammano et de Gravina.»

La Gazette officielle prend la peine d'ajouter ce considérant très-significatif: «Ces conseils et ces gardes nationales sont dissous à cause de leur mauvais services, de leur incapacité et du mauvais vouloir des chefs.»

Vous voyez, Monsieur, quel concours efficace le gouvernement subalpin doit attendre de ce corps d'élite, qu'un ministre piémontais déclarait avoir été créé pour surveiller l'armée régulière.

Nous n'avons pas à relever ici ce qu'il y a d'outrageant dans ces paroles prononcées contre l'armée italienne par un ministre de l'intérieur du roi galanthomme; mais il nous sera au moins permis de trouver étrange qu'avec une garde nationale aussi dévouée que le dit l'honorable chancelier, il faille encore cent vingt

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Monsieur le chancelier convient bien qu'il est arrivé certains laits passablement barbares dans les changements politiques de l'Italie; mais il s'en console aisément en songeant qu'ils sont «la conséquence inévitable d'une révolution qui participe de la guerre civile. D'ailleurs, dit-il, c'est l'influence étrangère qui imprime ce caractère aux horreurs commises dans l'Italie méridionale. Quant aux soldats piémontais, il est merveilleux qu'on ait aussi peu c'e cruauté à leur reprocher.» Le sous-secrétaire d'État votre collègue, Monsieur le chancelier, y met moins de façon, il avoue ingénuement «que les soldats subalpins sont des modèles de clémence.»

Voilà ce que l'on avait ignoré jusqu'à ce que le cabinet de lord Palmerston vînt le révéler à l'univers. On en serait donc réduit à croire que dans les provinces napolitaines, «où la presse et la représentation sont libres, où la garde nationale prête un actif concours au pouvoir nouveau,» les actes barbares qui ont ému l'Europe ont été commandés et payés par un souverain dépossédé qui en aura reçu inévitablement l'absolution du Pape.

Nous félicitons Monsieur le chancelier d'avoir imprimé, pour nous servir d'une expression nouvelle, «ce vigoureux détour à une cause mauvaise.» Mais il importe de connaître par qui et au nom de qui ces cruautés ont été exercées.

Du haut de la tribune, à Turin, M. Ferrari, fervent démocrate, lançait cette effrayante déclaration: «La répression du brigandage devient un véritable chaos de guerre civile. Vous vouliez à peine me croire lorsque je vous disais que j'avais visité les provinces méridionales et que j'avais vu une ville de cinq mille habitants

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Du sang, il en coule donc à flots dans les malheureuses provinces napolitaines!

Laissons de côté les exagérations puériles et citons des faits positifs, irrécusables, qui ont eu cent témoins.

Le 14 mars 1862, à Bajano, près Nola, dans la terre de Labour, un jeune paysan, âgé de seize ans, est arrêté pour avoir signalé aux brigands, du haut d'un châtaignier qu'il taillait, l'approche d'un détachement piémontais. Interrogé sommairement sur ce crime, il répond avec naïveté: «J'ai fait signe aux réactionnaires, parce que j'avais peur d'un combat où je me serais trouvé entre deux feux.» Sur la réponse d'Antonio Colucci, on le condamne aussitôt à mourir; mais, dans la crainte que les gardes nationaux, qui connaissaient la simplicité du pauvre paysan, ne se refusassent à cette horrible exécution, les Piémontais recoururent au sort: huit gardes nationaux furent désignés, entre autres le parrain d'Antonio. On obligea en outre son père et sa mère à se trouver présents. Le signal fut donné; mais les huit coups de fusil partirent sans qu'aucun atteignît l'innocente victime. Alors on fit avancer quatre soldats piémontais qui abattirent l'enfant. Les bourreaux, pour terminer dignement cette scène de sang, ramassèrent le chapeau d'Antonio et le placèrent en dansant sur la tête de son père. Lui aussi dansait et riait aux éclats avec les assassins de son malheureux fils... Il était devenu fou!

(1) Séance parlementaire du 29 novembre.

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A la suite de l'acte de sauvagerie suivant, la bourgade de Policastro fut abandonnée par tous ses habitants dans la journée du 4 avril 1862.

Un officier piémontais, dont le nom mérite d'être fixé au pilori de l'histoire à côté des libérateurs du royaume napolitain, le capitaine Bigotti du 17 de ligne, fit arrêter Vincent Micelli, agriculteur distingué, père de douze enfants, et trois autres habitants de Policastro, sous l'inculpation d'avoir donné du pain, un peu de pain... à un malheureux réactionnaire. Deux heures après, les quatre victimes étaient traînées sur le lieu de l'exécution, malgré les prières de toute la population, les larmes et les sanglots déchirants des femmes et des enfants. Le feu du peloton n'ayant pas tué raide Vincent Micelli, l'officier Bigotti courut à travers une mare de sang sur le pauvre blessé, et lui fendit le crâne à coups de sabre, devant la population glacée d'horreur!...

Tous les journaux napolitains du 6 décembre ont rapporté cet autre fait:

Un chef militaire, détaché dans un village de la province de Cosenza, ayant vu ses honteuses propositions et ses menaces échouer auprès d'une jeune fille dont la beauté l'avait séduit, il résolut d'en tirer une odieuse vengeance. Un soir, il fit saisir la chaste villageoise avec son vieux père qui l'adjurait de conserver son honneur; on les garrotta tous les deux, puis on les conduisit à quelques pas de leur chaumière, où les mêmes balles traversèrent le corps du père et de la fille.

Cela s'appelle, en langage piémontais,

exécuter pour cause de complicité avec les brigands.

Un dernier trait entre mille. Dans le courant de juin 1863, des carabiniers arrêtèrent à Campobello, province de Trapani, un jeune homme; en voyant son fils chargé de liens, la pauvre mère en larmes supplia humblement les agents de la force de lui prendre leur

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Qui donc fusille indistinctement les enfants, les jeunes filles, les femmes? Qui fusille les parents des réactionnaires jusqu'au troisième degré (1)? Qui fusille tout homme trouvé porteur d'un morceau de pain (2)? Qui fusille les propriétaires dont les chevaux ont été ferrés sans un certificat de l'autorité (3)? Qui fusille les blessés? Qui achève, enfin, les mourants? Sont-ce les agents de François II ou les fonctionnaires du gouvernement subalpin?

Qui a brûlé Casalduni, Pontelandolfo et vingt-sept bourgs ou villages dont les ruines désolées épouvantent les voyageurs? Quel uniforme portaient-ils ces soldats, lorsqu'ils égorgèrent, à Pontelandolfo, trente malheureuses femmes qui, dans leur terreur et pour échapper à d'ignobles traitements, s'étaient agenouillées au pied d'une croix? Un député, qui a vu le théâtre où se sont passées ces scènes d'indescriptible carnage, s'est écrié à son retour au parlement de Turin:

Si la conscience ne vous dit pas que vous roulez dans le sang, je ne sais comment m'exprimer moi-même (4).

En relatant d'autres horreurs commises sur un autre

peuple par un autre gouvernement

(1) Ordre du jour de G. Gemelli, préfet de la province d'Otrante; Lecce, 23 octobre 1862.

(2) Ordre du jour du Piëmontais Fumel, Celico, 1° mars 1862; du Piémontais Fantoni, Lucera,9 février 1862. C'est à la suite de ces arrêtés monstrueux que l'empereur Napoléon adressait au général Fleury une dépêche devenue fameuse, datée de Vichy, le 21 juillet 1862.

(3) Ordre du jour du préfet de Foggia, juillet 1863.

(4) Séance parlementaire du 29 novembre.

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qui se prétend aussi clément que le Piémont, un journal anglais lançait cet anathème: «Une férocité indigne foulant aux pieds l'opinion publique et les sentiments d'humanité, une soif illimitée de sang et de pillage, caractérisent les soldats moscovites (1).» Il fallait ajouter: et les soldats subalpins...

Cessez donc de dire, Monsieur, que les cruautés prennent leur source à Rome; cessez d'attaquer, dans son exil, un roi détrôné qui, comme tant de princes de la maison de Bourbon, a toujours reculé devant l'effusion du sang. N'oubliez pas qu'à Naples il défendait de tirer sur sa capitale révoltée, qu'à Gaëte il a constamment montré les sentiments de la plus exquise humanité. Chez un souverain, l'éducation et le respect de sa propre dignité ne permettent pas de descendre à d'aussi viles manœuvres; François II n'a pas à apprendre que l'honneur doit se placer au-dessus d'une couronne. Sa vie est d'ailleurs bien connue; après avoir déposé son épée à Gaëte, il n'a conservé d'autre rempart contre les machinations du parti unitariste que son droit et la noblesse de son attitude. Trois fois déjà on a attenté à ses jours, trois fois les unitaristes se sont révélés avec leurs instincts de sang et de honte, leur acharnement ne s'est même pas arrêté devant l'angélique vertu d'une femme, d'une reine dont les brillantes qualités et l'héroïsme reposent doucement l'esprit au milieu des turpitudes mises en œuvre contre elle. L'histoire vengera Marie-Sophie devant le Piémont, comme elle a vengé Marie-Antoinette devant le tribunal de la Convention. La Providence, en lui réservant cette suprême épreuve, a voulu ajouter à toutes ses gloires celle d'avoir eu à traverser les plus bassescalomnies sans avoir élé effleurée par leur bave immonde.

(1) Morning Post. 1er 1863.


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La publication prochaine des pièces du procès mémorable qui s'instruit à Rome, éclairera les plus incrédules et, dès maintenant, Monsieur le chancelier de l'Échiquier sail à quels traits se reconnaissent les victimes et les bourreaux.

VIII

Monsieur le Chancelier qui aime, sans se l'avouer la liberté <!e conjectures, trouve «que tout est progrès dans le royaume de Naples, parce que le commerce y a pris une extension triple de celle qu'il avait autrefois.»

A quelle source l'honorable M. Gladstone a-t-il puisé ses renseignements? il n'a pas daigné nous le dire. Mais si la prospérité était telle qu'il veut bien se l'imaginer, on ne voit pas pourquoi les provinces napolitaines ne viendraient pas avec leurs ressources sauver le Piémont d'une banqueroute inévitable? On ne comprend pas davantage pourquoi la rente, autrefois à 118 fr., est tombée à 71? Ni comment Turin, en 1862, a dû faire l'aumône d'un peu de pain à Naples, la troisième ville de l'Europe, pour la sauver des horreurs de la faim?

On ne s'explique pas comment la douane de Naples, qui rapportait en moyenne 90,000 piastres par jour, n'en donne plus au trésor de ses libérateurs que 13,000. Qui pourra se persuader que le commerce fleurit, lorsque la sécurité sur les routes manque même aux courriers du gouvernement, lorsqu'un journal, le Pungolo, annonce comme un fait fort naturel «l'évasion de six cents galériens du bagne de Brindisi;» quand on constate l'évasion de cent trente-sept forçats à Girgenti, de quarante-quatre autres à Granatello?...

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Comment, dans une contrée où tout prospère, a-t-il fallu tout récemment donner aux princes de Prusse et de Galles deux bataillons pour les escorter dans le court trajet de Naples au Vésuve?

Trop d'encens brûlé devant les nouveaux maîtres de Naples, risque fort d'aveugler l'honorable chancelier de l'Échiquier.

Il y a un chapitre que le noble ami du vicomte Palmerston désire passer sous silence; nous lui demandons cependant de le remettre sur le lapis. Il est temps que la lumière se fasse sur l'administration de la Justice dans l'ancien royaume napolitain.

L'à-peu-près se conçoit, se tolère dans bien des branches administratives: quand il s'agit de la justice, il n'y a aucun accommodement possible. C'est en partant de ce principe, éminemment moral, que Monsieur le chancelier s'est montré sévère, inexorable même, envers le gouvernement si paternel de Ferdinand II. Pourra-t-il contenir sa juste indignation, en apprenant comment le Piémont a bâillonné les lojs à Naples et enchaîné la justice, pour se maintenir dans son usurpation?

Un des premiers soins du gouvernement turinois, en escamotant les autres pouvoirs italiens, a consisté à faire l'inventaire des prisons; n'en trouvant pas le nombre suffisant dans l'Italie unifiée, il a donné libre cours à ses goûts en celle matière. Non content de restaurer toutes les vieilles geôles, il en a élevé de nouvelles, il en construit encore chaque jour; il veille surtout à ce qu'elles soient peuplées du plus grand nombre possible de détenus. Pour définir ce besoin singulier, il a fallu trouver une expression neuve. On dit donc aujourd'hui: «l'Italie prisonnière,» et le mot est venu du Parlement italien.

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Or, l'Italie prisonnière est une des hontes de l'humanité. Qu'on en juge par les aveux tombés des bouches les moins suspectes.

Le marquis Gustave de Cavour a dépeint ainsi les prisons de la capitale provisoire de l'Italie.

«J'appelle l'attention de l'honorable Ministre de l'Intérieur sur l'état

vraiment douloureux où se trouvent, depuis trois mois, les prisons de Turin. Cet état est contraire

à l'humanité et à l'honneur d'une nation civilisée. Par une sordide économie, les nouveaux détenus sont jetés sur la même paille qui a déjà servi à leurs prédécesseurs, qui pouvaient y avoir laissé des maladies contagieuses.»

M. Bellazzi, dans la même séance, a déclaré que les prisons de Gênes étaient une honte pour l'Italie.»

Que sera-ce donc clans le Sud, loin des rayons bienfaisants du gouvernement subalpin?

Le député de Boni compare les prisons napolitaines «à des cavernes anté-diluviennes, encombrées de détenus.»

M. Ricciardi, qu'on ne saurait accuser de regretter le régime passé, s'est écrié devant le Parlement: «Le pain qu'on donne aux prisonniers politiques, je ne l'aurais pas souhaité au comte Ugolin.»

Désire-t-on d'autres autorités? Nous citerons Je Diritto: «Les prisons de notre ville, écrit de Palerme une personne d'une haute autorité, font horreur. Les prisonniers sont traités plus mal que des chiens. Monale, le préfet piémontais, a pensé à y jeter un grand nombre de malheureux, sans songer à les considérer comme des hommes. C'est un vrai miracle qu'il n'y ait pas de typhus. Mille trois cents êtres humains, nus, sales, sans lit et sans lumière.»

Nous pourrions rappeler l'indignation dont fut saisi M. Crispi en sortant de visiter les prisons de Palerme (1).

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Nous pourrions encore reproduire la peinture effrayante que lord Lennox a laissée des prisons de Naples où il a pu pénétrer au grand regret du proconsul La Marmora (2). Nous préférons la déclaration du fournisseur officiel des prisons de Sicile, Michel-Ange Cammine.

«J'ai vu à Palerme, dit cet homme de cœur, vingt-deux jeunes gens condamnés comme déserteurs, presque nus, gisants sur la terre, couverts de plaies et de vermine, pendant que six cents vestes de laine appartenant au gouvernement sont la pâture des vers dans un magasin de la prison. Dans une autre chambre verrouillée, gémissent beaucoup de malheureux à moitié ou tout à fait nus, qui n'en sont pas sortis depuis quatre mois. On vante le système cellulaire, mais on n'en pratique que les rigueurs. Treize cents autres prisonniers ne sont guère mieux traités. Il y a quelques jours, aux barreaux extérieurs de la prison, on voyait se suspendre une foule de femmes portant dans leurs bras des enfants, demandant des nouvelles de leur mari, de leurs frères, de leur père, de leurs fils, ne sachant pas s'ils sont morts ou vivants. Le sous-directeur de la prison disait à une sentinelle: «Éloignez ces femmes à coups de crosse de fusil.» Alors je vis le soldat passer l'arme à un de ses compagnons, en disant: «Je ne sais pas me servir d'un fusil contre de malheureuses femmes et contre des créatures à la mamelle.»

«Je pleurais en embrassant ce brave jeune homme qui pleurait également. Le détenu qui soupire est mis au pain et à l'eau Je suis prêta témoigner de ce que j'ai dit devant qui que ce soit. Puisque j'appartiens au parti qui seul devrait exister, celui de l'unité de l'Italie, j'attends prompte justice

(1) Gazette officielle du royaume d'Italie, éance du 25 février 1863.

(2) Séance delà Chambre des Communes,8 mars 4863.

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de l'intelligence du Commissaire du Roi, et si le directeur doit éprouver du dommage, par suite de cette révélation, comme il est père de six enfants, j'offre de l'indemniser de ce qu'il perdra jusqu'à ce qu'il soit employé avec des honoraires correspondants. J'en dis autant pour le sous-directeur; mais je ne puis transiger avec l'humanité souffrante.

«Les treize cents prisonniers ont, eux aussi, plusieurs milliers d'enfants innocents; là on meurt tous les jours de privations et de misère. Sous le héros Victor-Emmanuel H, en 1863, cela ne devrait pas arriver dans la libre Italie (1).»

L'incertitude est-elle encore permise, nous le demandons, en face d'un semblable témoignage?

Faut-il interroger les victimes? Ici, c'est un vieillard aveugle et infirme; il porte le poids déjà bien lourd de quatre-vingts années, dont la meilleure partie a été consacrée à servir loyalement son pays; il s'appelle le chevalier Quattromani; il est accusé de ne pas aimer le nouveau régime: caprice de vieillard, dira-t-on; crime, répondent les Piémontais, qui vaut dix ans de prison! Le pauvre aveugle, condamné comme coupable de conspiration par correspondance écrite, est une proie jetée à la mort dans les geôles du Piémont. Malheur à celui qu'on renferme dans ces réduits immondes, ils ne rendent que des cadavres. Innocent ou coupable, condamné ou acquitté, jugé ou prévenu, on n'en sort jamais. Le garde-des-sceaux, M. Pisanelli, ne déclarait-il pas dernièrement qu'il connaissait quatre marins emprisonnés depuis deux ans sans qu'on sache encore par quel tribunal ils devront être jugés (2)?

(1) Cette lettre a été publiée par la plupart des journaux italiens.

(2) Séance parlementaire du 12 décembre.

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Les traitements infligés à MM. de Christen, Caracciolo, de Luca, ferrés, mis à la chaîne, couverts de la livrée des galériens, traînés de bagne en bagne, sont des flétrissures qui restent tout entières à la charge du gouvernement piémontais.

Les derniers doutes de M. le chancelier ne peuvent survivre à de telles révélations; il achèvera de s'éclairer sur la situation des provinces napolitaines; déjà le jour»'est fait dans son esprit, la vérité suivra de près et le cri impérieux de sa conscience le forcera à dire, avec Montesquieu: «Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice.»

IX

Un dernier mot sur la moralité des régénérateurs de l'Italie méridionale.

Tous les gouvernements régulièrement établis veillent avec une vigilance active sur les établissements hospitaliers où les infirmités, le dénûmenl, l'innocence, viennent chercher un abri. Ils respectent surtout dans ces refuges les membres de l'humanité souffrante, ils travaillent à leur perfectionnement moral et à leur bien-être physique.

Veut-on savoir comment on entend cet impérieux devoir à Naples? Il existe dans cette capitale un hôtel royal des Pauvres, établissement unique, autant par les dotations dont les souverains de Naples l'ont enrichi, que par la sollicitude qu'ils y prenaient des pensionnaires malheureux.

Le roi d'Italie passant à Naples résolut de parcourir l'hôtel des Pauvres.

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«Prévenus de celle visite» dit un journal unitariste, le Popolo d'Italia, «les directeurs étouffèrent les gémissements des pauvres sous les fanfares des troupes de musiciens. Les pauvres gens de cet établissement, plus que toutes autres créatures humaines, ressemblent à des bêles tant on les traite brutalement; ils dorment sur une litière vieille et malpropre; leurs vêlements journaliers sont des haillons inutiles; sans bas et sans chaussures, leurs chemises et leur linge, sont d'une étoffe dure et brune, où fourmillent des myriades d'insectes, à la honte de l'humanité; leur nourriture se compose uniquement d'une pâte noire, acide, sans assaisonnement.. La morale est nulle dans ces établissements. Les femmes n'y sont qu'un jouet; plus de trois cents jeunes filles ont été peupler les mauvais lieux en sortant de cet établissement (1).»

Ce n'est pas assez d'infamie.

Tous les journaux napolitains du mois de mars (1862) publiaient cet entre-filet: «Jeudi, 6 courant, par ordre du gouvernement, les jeunes pensionnaires les plus jolies de l'hôtel royal des Pauvres, ont été condamnées à se laisser photographier dans l'hospice même, pour que leurs portraits soient expédiés à Turin. Le reste s'entend sans qu'on le dise!»

Ne croyez pas surtout que les apologistes du régime piémontais s'arrêtent pour si peu!

«L'Italie se transforme» disait encore dernièrement un homme d'État anglais. Non, Monsieur le chancelier, ce qui se passe au delà des Alpes ne peut s'appeler une transformation. L'Italie périt. Et pour la tuer, la fusillade n'allant pas assez vite, on a recours aux pamphlets immondes, à une littérature empoisonnée, à des caricatures obscènes, à un enseignement cynique.

(1) Numéro du 6 mai 1862.

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L'assaut est général. N'a-t-on pas vu, il y a peu de temps,

un ministre de l'Instruction publique, proposer de fonder une chaire de l'histoire de la Prostitution? La gazette officielle du royaume n'a-t-elle pas applaudi au projet et annoncé avec complaisance le programme du nouveau cours?

C'est horrible, direz-vous, Oui. Impossible, non! La Vente suprême veut «l'anéantissement de l'idée chrétienne et l'honorable chancelier doit savoir ce qu'elle prêche chaque jour: Popularisons le vice dans les multitudes, qu'elles le respirent par tous les sens, qu'elles le boivent, qu'elles s'en saturent. Faisons les cœurs vicieux et vous n'aurez plus de catholiques... (1).

Certes, en lisant ces turpitudes, nos alarmes sont grandes. Elles ne vont pas toutefois jusqu'au désespoir. Nous étudions depuis trop longtemps l'abîme, pour n'y avoir pas habitué nos regards; mais nous proclamons que l'unité italienne est au dernier période d'une maladie mortelle.

Si la Péninsule n'a pas encore succombé à cette dissolution prématurée, elle le doit au bon sens des populations.

L'étincelle sacrée a été conservée par la jeunesse. Les chefs de famille savent que la religion est le flambeau des esprits et le frein des passions. En veut-on la preuve? L'université de Naples, naguère si florissante, ne compte plus aujourd'hui que deux élèves inscrits, tandis que soixante-six professeurs nommés par l'État sont chargés de dévorer un budget annuel de 702,591 francs (2).

(1) Lettre d'un chef aux adeptes.

(2) Armonia, 1mars 1863.


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X

Il est temps de terminer cet exposé, le dégoût monte, la raison s'indigne, la conscience se sent révoltée. Le royaume de Naples est exploité par une bande de routiers, détrousseurs de peuples, qui, pressée d'en finir avec leur victime prête à s'échapper, taille, pressure, rançonne, donne la torture, brûle, viole et fusille.

La curée s'avance, l'expérience est faite; on sait déjà à peu près aujourd'hui ce qu'une nation peut supporter avant que les derniers outrages ne la poussent à recourir au dernier moyen. Mais ce que l'on ignore, ce sont les lâches provocations adressées aux Italiens opprimés par ces Italiens qui se disent leurs frères. Il s'est rencontré un moine apostat qui, en montrant en public le poing aux Napolitains épuisés d'impôts, s'est écrié: «Il faut qu'ils paient ou nous les fusillerons tous jusqu'à ce qu'ils nous aient donné leur dernier sou.»

Il y a dans ces paroles, dignes d'un Néron, toute une révélation, elles sont un programme, une menace furibonde et permanente.

Naples, autrefois capitale, est aujourd'hui préfecture. Elle avait un roi, on lui a imposé des proconsuls avides. Elle était riche, on l'a réduite à solliciter l'aumône pour échapper à la faim. Elle était gaie, libre, bruyante; elle est esclave, livrée aux conspirations; ses rues sont désertes ou peuplées par l'émeute.

Qu'est devenue son armée? anéantie. Sa flotte? détruite. Ses arsenaux? vides. Son crédit? ruiné.

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Ses prisons? pleines d'innocents.» (1).

Ne pouvant enlever à Naples les dons qu'elle tient delà nature, sa lumière, son soleil, son climat, pour en doter la pauvre ville déshéritée de Turin, les ravisseurs exportent les autochtones aux pieds des Alpes neigeuses, tandis qu'ils expédient à Naples toute la population du Piémont. C'est une invasion en règle, une migration non moins effrayante à étudier que celles des Huns et des Goths au cinquième siècle; mais ce n'est l'unité pour personne. La fable est déjà vieille; le masque est percé à jour; il n'y a plus de dupes, le gouvernement piémontais le sait mieux que tout autre. Il ne colonise pas; il exploite avec le brevet de reconnaissance extorqué à la diplomatie. Il n'administre pas le royaume napolitain en vertu du Statut. Il exproprie Naples, et, avec Naples, les coutumes, les mœurs, les monuments, les traditions d'un peuple, pour cause de nationalité.

Dans le royaume napolitain, les Piémontais se savent bien près d'un volcan; aussi aiment-ils mieux détruire que fonder, dépouiller qu'améliorer, afin d'être prêts, dès la première alerte, à regagner la Haute-Italie. C'est le système de l'antique Rome, mis en pratique par un petit peuple en bonne fortune de conquête. Il s'est introduit dans les Deux-Siciles en escamoteur; s'il a fait miroiter devant ces imaginations chaudes, à travers mille paillettes trompeuses, les grands mots de liberté, de constitution, d'unité, c'était afin d'assurer le tour, pour attirer la foule, pour désarmer les défiances. A peine dans la place, il a changé de langage et de costume; les promesses et les séductions sont devenues des ordres assez semblables à des menaces.

(1) Circulaire du général piémontais comte Mazé de la Roche, aux commandants de corps et de détachements de la province de Foggia. Colpo d'occhio su le condizioni del Reame delle Due Sicilie nel corso dell'anno .

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Le libérateur s'est métamorphosé en gendarme; les amis se sont montrés d'impitoyables garnisaires. On disait la veille: «Prêtez nous la main.» Le lendemain on a dit: «Vous nous appartenez.»

Que reste-t-il au Piémont de son équipée italienne?...

En remplaçant l'Autriche dans la Lombardie, il a fait regretter le régime autrichien sans gouverner aussi bien que sa devancière. En écrasant d'impôts les populations de la Péninsule, il s'est appauvri, au point d'en être réduit à escompter sa ruine financière. En établissant la conscription, malgré une résistance formidable, il arme des hommes qui l'abandonneront devant l'ennemi ou qui retourneront contre lui le fer qu'il leur a donné. En trompant la démocratie au moment de partager le gain d'une entreprise de flibusterie, commencée à frais communs, il a irrité la révolution. En cédant à une puissance alliée une portion intégrale de l'Italie, le gouvernement piémontais a perdu sa popularité, compromis son programme. En promettant Rome, qu'il ne peut saisir, il a avili sa foi politique, autorisé tous les soupçons, permis toutes les critiques.

Disons-le, le Piémont n'a jamais été à la hauteur du rôle qu'il s'était destiné. On ne façonne pas un peuple comme on libelle un rapport; on ne le jette pas impunément dans un moule, préparé en quelques heures dans le cabinet d'un ministre, pour l'en retirer amalgamé et fondu tout d'un bloc. Mais lorsque l'essai a manqué une première fois, prudemment l'opérateur doit laisser tomber le rideau et quitter la scène, sous peine de se couvrir de ridicule et d'attirer les sifflets. C'est l'histoire du Piémont durant ces trois dernières années.

Après avoir maladroitement tout essayé, tout détruit, sans rien fonder, sans rien asseoir,

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encore souillé d'un sang fratricide, il ne laisse aux Italiens qu'une seule question à résoudre, à savoir: le prix de tout ce que l'Italie n'a plus!

A son lour, le gouvernement piémontais ne doit jamais perdre de vue les réponses qui furent données à la Commission d'enquête contre le brigandage, durant son passage à Bari.

Quelle est la cause du malaise général, demandaient les commissaires à l'un des hommes les plus considérés de celte ville?

- L'invasion des Piémontais, répondit-il. Quelle est la cause de l'abstention politique?

- La haine des Piémontais!

Quel remède serait le plus efficace au déplorable état des choses?

- Le départ des Piémontais!

N'en déplaise au cabinet de Turin, nulle autre issue, nulle autre solution n'est plus permise, et le moment approche forcément, où la brise légère portera aux derniers soldats du Piémont, balancés sur les flots du golfe de Naples, les cris d'allégresse d'un peuple qui a brisé des chaînes trop lourdes et mis tin à une annexion mensongère.

Alors s'ouvrira une ère nouvelle pour le royaume de Naples. Elle ne saurait manquer d'être heureuse, lorsqu'on se rappelle les paroles si loyales prononcées par le héros de Gaëte devant une députation de ses sujets fidèles: «Amnistie et pardon pour tous les faits politiques.» Puis, le Roi ajoutait: «Sous la sauvegarde d'un régime franchement représentatif, le pays pourra prendre part efficacement à son administration et à son gouvernement (1).»

(1) Discours de François II aux délégués des Villes de Naples et de Palerme, en réponse à une adresse couverte de soixante-dix mille signatures, présentée à Sa Majesté Sicilienne à Rome, le 1er janvier 1863.

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XI

Quel que soit le dénouaient de ce drame sanglant, chaque heure qui s'écoule creuse de nouvelles tombes, augmente bien des larmes, aggrave bien des maux. Ce qui est déjà perdu pour les deux peuples qu'on veut détruire, c'est cet espoir d'être secouru, si cher aux malheureux, à qui tout manque, hors le courage de mourir sous les ruines de leur patrie. «Nous avons les sympathies des honnêtes gens,»-peuvent répéter avec le gouvernement de Varsovie, les malheureux Napolitains; - mais nos bourreaux ont obtenu de l'Europe «un laisser faire.»

Ce qui est perdu pour la Pologne, c'est celle génération de jeunes hommes intelligents, supérieurs, qui, dans l'industrie, dans les sciences, dans les armées étrangères, s'étaient placées partout au premier rang par les sentiments d'honneur et de patriotisme.

Ce qui est perdu à Naples, c'est cette population agricole honnête et intrépide, qui, dans un pays où l'agriculture est une mine inépuisable, fouillait la terre pour ramener à sa surface la vie et la fécondité. Tous ces braves Polonais, cette héroïque race de paysans napolitains est détruite, anéantie; elle blanchit les champs de ses ossements, sans que la vue de tant de cadavres et le souvenir de tant de noblesse arrête une guerre d'extermination.

Les cabinets européens considèrent froidement la brutale expropriation de doux peuples dont l'existence les intéresse à tant de litres; ils restent indifférents devant le véritable délire qui pousse les Mourawieff, les Berg, les Fumel, les Fantoni à commettre les dernières atrocités.

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La loi Pica ordonnant l'incarcération en masse de tous les Napolitains, les ordres du jour des généraux moscovites imposant une ville à 5,000 roubles d'amende parce que les femmes versent des larmes tandis que l'on fusille leurs maris et leurs enfants (1), ne les font pas tressaillir.

Cependant, sauver deux peuples condamnés à mort parce qu'ils ne veulent pas renier leur religion ni livrer leur pays, c'est bien plus qu'il n'en faut pour tenter le génie puissant d'un ministre toujours heureux. A quatre-vingts ans, et après tant de victoires étonnantes, lord Palmerston n'a plus d'autre ennemi à craindre que le petit grain de sable dont parle Pascal, qui enleva si brusquement Cromwell. Avant donc de s'apprêter à comparaître devant le tribunal sévère de l'histoire, le noble lord peut sceller sa carrière par une illustration impérissable, en rendant à plusieurs millions d'hommes la place qui leur est marquée dans le concert européen et le droit imprescriptible de tous à la liberté.

Vous êtes assez libéral, Monsieur le chancelier, pour le presser de souscrire à cette nouvelle révolution; il est assez puissant, qu'est-il besoin de vous le dire, pour empêcher Moscovites et Subalpins de se tailler des royaumes dans les chairs de deux peuples.

(1) Ordre du jour du général commandant à Wloclawek. Gazette de Breslau, 2octobre 1863.

FIN.





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