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Il decennio orribile delle Due Sicilie (1850-1860)

Una serie di cinque testi, di cui tre antiborbbonici, che ben rappresentano come il Regno delle Due Sicilie nel decennio 1850-1860 fosse sotto attacco da parte di Inglesi e Francesi. Pressioni di ogni genere, a partire dal dossier fabbricato da Gladstone con l'aiuto di Giacomo Filippo Lacaita da Manduria (lo stesso Lacaita che avrebbe poi fatto da segretario al Gladstone nell'affare delle Isole Ionie nel 1858 e nel 1860 avrebbe impedito che un accordo anglo-francese impedisse il passaggio di Garibaldi in Calabria) si susseguono fino  a culminare nella organizzazzione della spedizione garibaldina.

Un testo che descrive la Napoli italiana.

Zenone di Elea – Marzo 2014

LE ROI DE NAPLES

ET L'INDÉPENDANCE ITALIENNE

PARIS

E. DENTU, LIBRAIRE-EDITEUR

GALERIE D’ORLÉANS, 13, PALAIS-ROYAL

1859

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La paix est faite. Et une paix tout à fait inattendue: car, la veille de sa signature, 10 juillet, l’empereur Napoléon, en annonçant aux troupes son départ pour Paris, disait: «Dès que l’heure du combat aura sonné, vous me reverrez au milieu de vous pour partager vos dangers.»— Aujourd’hui, les bases du traité de Villafranca sont connues. Une partie des espérances des Italiens est ajournée. C’est le moment de demander compte à chacun de leurs princes de ce qu’ils ont fait pour aidera la délivrance de la patrie commune. Une grande responsabilité pèse particulièrement sur le roi de Naples, puisqu’il n’a rien fait pour la cause nationale. Sa tradition de famille permettait peu d'espérer qu’il se déclarât contre l’Autriche. Il n’en a pas même témoigné le désir, et il a justement encouru le ressentiment de l’Italie en même temps que la mécontentement de la France, puisqu’on peut lui reprocher de n’avoir point jeté dans la balance ses cent vingt bâtiments de guerre et son armée de cent mille hommes.

Si maintenant le jeune roi n’essaie pas au plus vite de racheter sa faute envers la patrie par un gouvernement vraiment libéral, il est évident qu’il ne pourra régner.

Pour des motifs mystérieux, la Vénétie, malgré l’admiration qu’a excitée sa défense dû y a dix ans, malgré les dernières victoires des Franco-Sardes, est laissée à l’empereur d’Autriche, tout en devenant partie intégrante de la Confédération italienne. C’est une raison de plus pour les autres membres de cette Confédération de se montrer Italiens et libéraux et de ne point se laisser dominer par l’influence autrichienne; sans quoi l’Autriche se trouverait plus forte après ses défaites qu’elle ne l’était avant la campagne. Si les anciens traités secrets de l’Autriche avec les princes italiens leur interdisait tout régime qui ne concordât point avec celui qu’elle adoptait pour ses provinces italiennes, il faut maintenant que ce soit le contraire qui arrive. Et s’il y a des princes qui oublient ce devoir, c’est aux populations à le leur rappeler et à y tenir la main. Tous les États de la Péninsule doivent tendre à des institutions nationales et constitutionnelles.

Il avait été beaucoup promis aux Italiens au nom de la  France.

L’histoire dira si les résultats sont en proportion des efforts et des sacrifices, et appréciera quelles raisons d’ordre supérieur. ont ‘pu arrêter le vainqueur au milieu de son triomphe. — Quoi qu’il en soit, les Italiens ne doivent rien négliger pour développer le peu qu’ils viennent d’obtenir, pour hâter par leur concorde leur complète délivrance; et par l’uniformité de leurs lois, préparer l’unité de la patrie italienne.

L’Angleterre a fait beaucoup de mal à l’Italie par sa neutralité! Mais si, fidèle à ses rancunes et égarée par ses peurs, elle a contrecarré la politique de la France vis-à-vis de l’Autriche, rendu possible une coalition, et a été ainsi la cause première de la paix qui nous est faite avec des résultats incomplets et des restrictions regrettables, il faut néanmoins espérer que, dans les questions secondaires, l’Angleterre s’unira loyalement à la France pour que les Deux-Siciles, par exemple, soient dotées d’un régime conforme à la civilisation moderne.

Les pages qui suivent ont été écrites et imprimées au bruit du canon de Solferino, alors que l’indépendance de l’Italie entière ne faisait de doute pour personne, et que l’on s’indignait seulement que tout le sud de l’Italie restât spectateur inerte d’une telle lutte. Si certains passages sont devenus sans application actuelle, le plus grand nombre n’en renferment pas moins des vérités pratiques et un enseignement d’une utilité permanente.

Quand on n’a pas obtenu tout ce que l’on désirait, il ne faut pourtant jamais perdre espoir, mais redoubler d’efforts et de sacrifices. Les déceptions qui engendrent la désespérance sont mortelles pour les peuples comme pour les individus. Si la France n’a pas tenu tout ce qui avait été promis, il viendra un temps où elle tiendra même ce qui n'a pas été promis.

12 juillet 1859

LE ROI DE NAPLES ET L'INDÉPENDANCE ITALIENNE           64

http:www.eleaml.org – Dicembre 2013

LE ROI DE NAPLES

ET

L'INDÉPENDANCE ITALIENNE

Au moment où la France et le Piémont font tant d’efforts pour expulser d’Italie les Autrichiens, oh les duchés se prononcent pour la cause nationale, et où l’enthousiasme gagne de proche en proche les villes de l’Italie centrale, ou se préoccupe de Naples, on se demande si cette importante partie de la Péninsule ne prendra donc point part à la guerre de l’indépendance italienne.

Il était impossible de rien espérer tant que vivait S. M. le roi Ferdinand II de Bourbon; car il approuvait la domination de l’Autriche et sa politique. Son regne fut une, véritable calamité pour l’Italie: il a donné, de nos jours, l’image d’un tyran de l’antiquité; bien des faits de sa vie n’ont d’analogues que dans celle de Denys de Syracuse. Aussi souleva-t-il contre lui la conscience publique. L’opinion européenne le dénonça; un membre du Parlement britannique l’accusa; le Congrès de Paris le flétrit. Rebelle aux avertissements de la France et de l’Angleterre, il obligea ces deux gouvernements à rompre toutes relations diplomatiques avec lui; de sorte que, depuis plus de deux ans, il vivait sons le coup d’une espèce d’excommunication politique.

Et voilà pourquoi la mort du roi Ferdinand II a été accueillie comme un immense soulagement. Un journal semi-officiel, en l’annonçant, ajoutait: «On ne peut nier que la mort de ce prince ne soit un grave événement dans les circonstances actuelles, et de nature même à assurer la défaite de l’influence autrichienne à Naples, au profit de l’indépendance italienne.» (Patrie, 24 mai 1859.)

A quelques jours de distance, l’Autriche a fait trois pertes qui sont pour elle trois mauvais présages: la mort du roi Ferdinand venait d’être précédée, le 20 mai, par celle du ban des Croates, Jellachich, qui avait défendu l’Autriche contre les Hongrois en 1848; elle fut suivie, le 11 juin, de celle du prince de Metternich, qui avait sauvé l’Autriche contre Napoléon.

Le roi de Naples a pu apprendre, dans sa longue agonie, que les petits souverains d’Italie étaient en fuite, que l’armée franco-italienne était entrée en campagne contre l’Autriche, que tout Italien combattait ou brûlait de combattre pour l’indépendance nationale. Ferdinand Il est mort au bruit de la victoire de Montebello (arrivée deux jours auparavant, 20 mai), et le joyeux canon de Magenta (11 juin) a salué ses funérailles. Tandis que le nouveau roi, François Il, notifiait son avènement au trône, S. M. l’Empereur adressait de Milan son appel aux Italiens.

Proclamation de l’Empereur au peuple italien.

Italiens,

«La fortune de la guerre nous conduisant aujourd’hui dans la capitale de la Lombardie, je viens vous dire pourquoi j'y suis.

«Lorsque l‘Autriche attaqua injustement le Piémont, je résolus de soutenir mon allié le roi de Sardaigne: l’honneur et les intérêts de la France m'en faisaient un devoir.

«Vos ennemis, qui sont les miens, ont tenté de diminuer a sympathie universelle qu‘il y avait en Europe pour votre cause, en faisant croire que je ne faisais la guerre que par ambition personnelle ou pour agrandir le territoire de la France.

«S’il y a des hommes. qui ne comprennent pas leur époque, je ne suis pas du nombre.

«Dans l’état éclairé de l’opinion publique, ou est plus grand aujourd’hui par l’influence morale qu’on exerce que par des conquêtes stérie; et cette influence morale, je la recherche avec orgueil en contribuant à rendre libre une des plus belles parties de l’Europe.

«Votre accueil m‘a déjà prouvé que vous m'avez compris.

«Je ne viens pas ici avec un système préconçu pour déposséder les souverains ni pour vous imposer ma volonté; mon armée ne s'occupera que de deux choses: combattre vos ennemis et maintenir l’ordre intérieur; elle ne mettra aucun obstacle à la libre manifestation de vos vœux légitimes.

«La Providence favorise quelquefois les peuples, comme les individus, en leur donnant l’occasion de grandir tout à coup; mais c’est à la condition qu'ils sachent en profiter. Profitez donc de la fortune qui s’offre à vous! «Votre désir d'indépendance si longtemps exprimé, si souvent déçu, se réalisera si vous vous en montrez dignes. Unissez-vous donc dans un seul but, l’affranchissement de votre pays.

«Organisez-vous militairement. Volez sons les drapeaux du roi Victor-Emmanuel. qui vous a déjà si noblement montré la voie de l’honneur.

«Souvenez-vous que, sans discipline, il n‘y a pas d’armée; et, animés du feu sacré de la patrie, ne soyez aujourd’hui que soldats; demain, vous serez citoyens libres d’un grand pays.

«Fait au quartier impérial de Milan, 8 juin.

«NAPOLÉON»

L'Empereur s'adresse a tous les Italiens. Il ne veut point leur imposer sa volonté, mais il ne souffrira pas que leur volonté nationale soit étouffée. Il ne vient point renverser les trônes, mais il ne se charge pas de restaurer ceux qui s’écroulent sous le poids de l’indignation générale. L’heure décisive de l’indépendance italienne est arrivée. Quand les Français sont généreusement accourus verser leur sang pour cette grande cause, nul Italien ne peut y faire défaut sans forfaire à l’honneur, nul prince italien ne peut s’abstenir sans renier tout patriotisme, sans se, dénoncer comme ennemi de la patrie italienne, sans se condamner soi-même et se suicider. -— C’est pourquoi tous les yeux se tournent vers le sud de la Péninsule.

Le royaume des Deux-Siciles est le plus considérable de l’Italie; il aune population de 8,600,000 âmes. Il renferme la plus grande ville de l’Italie, Naples, qui a 416,000 habitants. Sa frontière est formée pour les 11/12es de côtes; par conséquent, il est, de tous les États de la Péninsule, le plus à l’abri d’une invasion autrichienne.

D’après la statistique officielle, le chiffre de l’armée des Deux-Siciles est de 94,505 hommes (c’est-à-dire 74,457 d’infanterie, 7,805 d’artillerie, 3,700 de gendarmerie et 8,543 de cavalerie); et la marine comprend 122 bâtiments de guerre (c’est-à-dire 15 navires à voiles, qui sont: 2 vaisseaux, 2 frégates de 60 canons, 3 frégates de 40 canons, 1 corvette, 5 bricks, 1 cutter, 1 bombarde, — et 107 navires à vapeur, qui sont: 12 frégates, 4 corvettes, 4 bricks, 4 goélettes, 69 bombardes, 14 bateaux de port); et, en outre, la marine marchande compte 8,874 bâtiments de toute grandeur. A voir une telle flotte et une telle année, on ne saurait comprendre qu’elles restassent inactives. Pourquoi donc auraient-elles été créées? Et si elles ne servent point à l’affranchissement de la patrie, à quoi serviront-elles? Est-ce que les Napolitains et les Siciliens ne sont pas Italiens? Est-ce que l’Autriche n’est pas l’ennemie de l’Italie. Et si on ne l’écrase pas maintenant, quand l’écrasera-t-on? Où et quand espérer une meilleure occasion‘? Les Franco-Sardes battent ses armées. Mais est-il donc à craindre qu’il y ait trop de monde pour la frapper, ou qu’on la frappe trop fort? Quiconque n’est pas contre l’Autriche est pour elle. Le gouvernement des Deux-Siciles pourrait beaucoup pour l’indépendance nationale. Il est tenu à d’autant plus de sacrifices qu’il a plus de torts à réparer envers la patrie italienne. Mais que fera-t-il? Le prince héréditaire, François-Marie-Léopold, duc de Calabre, qui monte sur le trône sous le nom de François II, est un jeune homme de vingt-trois ans, né le 16 janvier 1836, de la reine Christine, première femme du feu roi Ferdinand II et fille de feu Victor-Emmanuel 1er, roi de Sardaigne.

Il perdit sa mère quinze jours après sa naissance. L’année suivante, son père épousa une archiduchesse d’Autriche qui lui donna cinq frères et trois sœurs. Élevé sous le brutal despotisme de son père et l’autorité. haineuse de sa belle-mère qui rêvait la couronne pour son premier-né, le comte de Trani (de deux années seulement plus jeune que le prince royal), il a grandi dans la défiance et le silence. On ne sait ce qu’il pense. On disait qu’ayant souffert de l’Autriche il serait disposé à agir contre elle et à se montrer libéral.

Son père lui-même, le roi Ferdinand Il, avait commencé son règne en se montrant libéral et ami-Autrichien. Il n’avait alors que vingt ans. Il fut salué par d’unanimes applaudissements des deux côtés du phare de Messine. Le jour de son avènement au trône, 8 novembre 1830, il avait déclaré dans sa proclamation: «Qu’il ferait tous ses efforts pour cicatriser les plaies qui, depuis quelques années, affligeaient le royaume.» Les valets qui avaient trafiqué des affaires publiques furent chassés du palais, des ministres corrompus furent mis en accusation; un lieutenant-général de la Sicile, Hugo delle Favare, mélange sinistre de Verrès et de Borgia, fut enlevé par des gendarmes; un procès politique qui menaçait la vie de quelques personnes en Sicile fut déchiré par ses ordres; une diminution de peine fut accordée aux condamnés politiques; ou retrancha en grande partie le faste et les dépenses de la cour. Le roi s’occupait beaucoup de l’armée. On disait qu’il se préparait à venger les mésaventures militaires de l’armée napolitaine en 1821, à lui faire prendre sa revanche contre les Autrichiens; d’autant plus qu’il avait rappelé au service quelques officiers napolitains de l’armée de Murat, et qu’il était plein de prévenance pour le ministre de Sardaigne.

Mais on ne tarda pas a voir que les soins donnés l’armée n’étaient pas une préoccupation de guerre nationale, mais un désir de se garder contre son peuple; que son économie n’était qu’avarice et peut-être même une précaution pour les mauvais jours.

Sa clémence dura juste au— tant que sa peur de la Révolution de juillet 1830. On disait d’abord: Attendons; le roi a de bonnes intentions et le progrès viendra. Plus tard, on dit que les événements ne permettaient aucun changement. La vérité est que les promesses du roi n’étaient qu’un calcul pour tromper l’impatience de son peuple; dès le premier jour, il avait eu une haine instinctive de la liberté, un attachement raisonné pour l’Autriche. On en trouve la preuve dans la lettre confidentielle qu’il écrivait à Louis-Philippe, qui le félicitait de son avènement au trône, et dont voici de curieux fragments: «Je voudrais bien m’approcher tout à fait de la France de Votre Majesté, qui ne peut être que modérée et loyale; mais je suis lié par les traités et parles alliances précédentes, auxquelles il faut rester fidèle d’autant plus que, dans les jours malheureux de ma famille, ce sont elles qui nous sont venues en aide. Pour m’approcher de la France de Votre Majesté, si elle peut jamais être un principe, il faudrait renverser la loi fondamentale qui constitue la base de notre gouvernement, et m’engouffrer dans cette politique de jacobins pour laquelle mon peuple s’est montré félon plus d’une fois à la maison de ses rois., La liberté est fatale à la famille des Bourbons; et 'moi, je suis décidé à éviter à tout prix le sort de Louis XVI et de Charles X. Mon peuple obéit à la force et se courbe; mais malheur s’il se redresse sous les impulsions de ces rêves qui sont si beaux dans les sermons des philosophes, mais impossibles en pratique... J’avouerai avec franchise à Votre Majesté qu’en tout ce qui con cerne la paix ou le maintien du système politique en Italie, j’incline aux idées qu’une vieille expérience a montrées au prince de Metternich efficaces et salutaires. Mon peuple  n’a pas besoin de penser: je me charge du soin de son bien-être et de sa dignité...

Nous ne sommes pas de ce siècle. Les Bourbons sont vieux, et, s‘ils voulaient se calquer sur le patron des dynasties nouvelles, ils seraient ridicules. Nous ferons comme les Habsbourgs. Que la fortune nous trahisse, nous ne nous trahirons jamais. —— Malgré cela, que Votre Majesté compte sur mes plus vives sympathies et sur les souhaits les plus sincères que je lui fais de réussir à maîtriser ce peuple ingouvernable qui fait de la France le fléau de l’Europe...» Et Ferdinand Il a régné conformément à ce programme. Mais qu’a-t-il recueilli d’une telle politique? Dès avant 1848, les Italiens l’appelaient le Néron catholique. Le bombardement des villes de son double royaume lui a depuis mérité le surnom de Bombardatore: l’Europe a ratifié le jugement de son peuple, et il est connu dans le monde sous le nom de il ne Bomba, c’est-à-dire le roi Bombe.

Souvent, on est porté à jeter un voile sur les mauvais actes de ceux pour qui la justice éternelle a commencé. C’est une grande erreur. D’abord, parce qu’on ne dotaux morts que la vérité, et ensuite parce que le premier devoir des vivants est d’étudier les fautes des morts, pour les détester et les réparer.

Le nouveau roi de Naples comprend-il le véritable état des choses? Sent-il ce qu’il doit à son peuple et à l’Italie? A-t-il réfléchi à quelles conditions il lui sera possible de régner? il est permis d’en douter, quand on lit, dans la proclamation qui fut affichée à Naples, aussitôt après la mort du roi Ferdinand II, le lundi matin 23 mai:

«François II, etc.,

«Par le malheureux événement de la mort de notre auguste et bien aimé père, Ferdinand II, Dieu nous appelle à occuper le trône de nos augustes ancêtres; adorant profondément ses impénétrables jugements, nous nous confions avec fermeté et implorons sa miséricorde pour nous accorder aide spéciale, constante assistance pour accomplir les nouveaux devoirs qu’il nous impose, d’autant plus graves et difficiles que nous succédons à un grand et pieux monarque, dont les héroïques vertus et les mérites sublimes ne seront jamais assez célébrés.

«Aidé de la protection du Tout Puissant, nous pourrons maintenir énergiquement le respect dû à notre religion, l’observance des lois, l’administration droite et impartiale de la justice, la prospérité de l’État parce qu’ainsi, selon les ordres de la Providence, le bien-être de nos heureux sujets reste assuré.

«Et voulant que l"expédition des affaires publiques ne soit pas retardée: u Nous avons résolu de décréter que toutes les autorités du royaume des Deux-Siciles restent dans leurs fonctions.»

«Caserte, 22 mai 1859.

«FRANÇOIS.»

Cette proclamation a produit partout une pénible impression. On s’étonna de n’y trouver aucune promesse de réforme, aucun mot sur la guerre de l’Indépendance. Quelques-uns essayèrent d’y voir un excès de diplomatie, le plus grand nombre y sentit l’absence d’un bon désir. Une certaine réserve était assurément commandée au roi en parlant de son père. Mais quelle confiance veut-on qu’aient les peuples, quand ils voient le successeur vanter comme «grand et pieux monarque» celui dont ils ont tant souffert? Que veut-on que pensent la France et l’Angleterre, quand elles voient attribuer à «des mérites sublimes,» les actes qui avaient si justement encouru leur réprobation? Comment n’être point frappé de stupeur en entendant célébrer «les héroïques vertus» d’un roi qui n’a jamais versé que le sang de ses sujets! Si le nouveau roi admire le règne de Ferdinand Il, voudrait-il donc. marcher sur ses traces? Reste à savoir si ce serait possible, si on le tolérerait. Il n’est pas probable que ceux qui arrachent la Haute-Italie au despotisme autrichien, soient disposés à laisser le sud de l’Italie a la merci des Suisses du roi de Naples.

Il ne sera pas inopportun d’examiner sommairement,  comment régna Ferdinand II, de rappeler quels furent ses instruments de règne.

En Sicile, comme à Naples, tous vœux légitimes de progrès furent étouffés dans le sang des populations. Il y eul, en 1837, les proscriptions de Catane et de Syracuse; en 1847, les fusillades de Reggio et de Messine; en 1848, la mitraillade et le pillage de Naples, le 15 mai, et en septembre le bombardement de Messine. Mais ces massacres agirent peu sur l’opinion des gouvernements qui n’y virent qu’une répression de mouvements révolutionnaires.

Il parut à Londres, en 1851, un écrit intitulé: Deux lettres au comte d’Aberdeen sur les persécutions d’État du gouvernement napolitain, par le très-honorable W. -E. Gladstone, membre du Parlement britannique. Cet écrit fit d’autant plus de bruit, que c’était un député de l’Université d’Oxford à la Chambre des communes, un ancien collègue de lord Aberdeen dans le ministère de sir Robert Peel, un des membres les plus influents et les plus considérés du parti conservateur, qui, après un séjour de plusieurs mois à Naples, dénonçait le gouvernement de Ferdinand II à l’indignation et au mépris de l’Europe.

«Ce n’est pas une sévérité accidentelle que je vais décrire, dit-il, c’est la violation incessante, systématique, préméditée des lois.... C’est la persécution en masse de tout ce qui, dans la nation, vit, se ment et forme le principal ressort du progrès pratique et du perfectionnement. C’est l’audacieuse profanation de la religion qui, sous le double stimulant de la peur et de la vengeance, s’allie avec le pouvoir gouvernemental pour violer toute loi morale. C’est la prostitution complète de la magistrature, dont on a fait le récipient dégradé des machinations les plus viles et les plus grossières, ourdies avec opiniâtreté et préméditation par les conseillers immédiats de la couronne.. C’est un sauvage et lâche système de tortures morales et physiques; c’est, comme je l’ai entendu dire avec vérité, la négation de Dieu érigée en système de gouvernement...

«Les procédés actuels du gouvernement de Naples à l’égard des coupables politiques réels ou supposés, sont un outrage à la religion, à la civilisation, à l’humanité, à la pudeur... L’opinion générale est que le nombre des prisonniers pour offenses politiques, dans le royaume des Deux-Siciles, est de quinze, vingt ou trente mille. Le gouvernement a ôté tout moyen de se procurer des informations exactes à ce sujet... Des hommes sont arrêtés, non pas parce qu’ils ont commis ou qu’ils sont soupçonnés d’avoir commis une offense, mais parce qu’on juge convenable de s’assurer ou de se débarrasser d’eux, et il faudra, par conséquent, trouver ou fabriquer une accusation contre eux... Dans les pays où la justice est respectée, on punit les actes, mais il est réputé injuste de punir les pensées; à Naples, les pensées sont contournées pour les rendre 'punissables. Je parle ici de ce que je sais avoir eu lien; je n’ai rien inventé ni exagéré...

«J 0 trial terai particulièrement l’afl'aire de Charles Poërio. Son père était un avocat distingué; il était lui-même un gentilhomme honorable, accompli, un orateur éloquent, un homme d’un caractère respectable et exempt de tout blâme... Il était strictement constitutionnel... Je puis dire, après avoir examiné presque complètement son affaire, que la condamnation d’un tel homme pour trahison est aussi juste et conforme aux lois de la vérité, de la justice, de la décence, de la franchise et du bon sens, que le serait dans notre pays une pareille condamnation contre aucun de nos hommes d’État les mieux connus, lord John Russel, lord Lansdowne, sir James Graham et vous-même... Comme homme public, il en est à peine de plus élevés que Poërio, et parmi les noms que je viens de citer comme les plus chers à l’Angleterre, il en est à peine, il n’en est peut-être ‘pas qui soit aussi cher que l’est celui de Poërio à ses com patriotes napolitains... Charles Poërio était un des ministres de la couronne sous la Constitution, il avait aussi une des positions les plus prééminentes dans le Parlement napolitain...

Poërio paraissait avoir l’entière confiance du roi. Sa démission, quand il l’offrit, fut d’abord refusée, et, après son acceptation, on lui demandait encore son avis... Le juge Domenic-Antonio Navarro était le président de la cour... On m’a dit, et je le crois, qu’il ne fait pas mystère de son opinion, qui est que toute personne accusée par le gouvernement du roi doit être déclarée coupable... Poërio fut condamné à vingt-quatre ans de fers... En février dernier (1851), Poërio était emprisonné au bague de Nisida, près du Lazaret... Les prisonniers étaient enchaînés deux à deux... Ces chaînes ne sont détachées ni le jour ni la nuit pour aucun motif... Mon attention s’est particulièrement portée sur l’affaire de Poërio, non parce que j’avais les meilleures raisons de croire qu’elle présentait plus de cruautés et de scélératesses que les autres, mais parce que j’étais en mesure de la suivre un peu mieux dans ses détails. Crimine ab uno disce omnes.

«Il me semble qu’on en a assez dit pour démontrer qu’il y a les plus fortes raisons de croire que, sous le voile du mystère dont se couvrent les actions du gouvernement napolitain, il y a de gigantesques horreurs, faisant d’un pouvoir placé dans les sociétés humaines pour maintenir l’ordre et la paix, pour défendre l’innocence et punir le crime, le grand infracteur de la loi, le malfaiteur du pays, le premier oppresseur, l’ennemi mortel de la liberté et de l’intelligence, l’actif fomentateur et instigateur de la plus vile corruption parmi le peuple.»

Le document dont quelques extraits précèdent avait été remis à lord Aberdeen le 7 avril 1851; il ne fut publié que le 11 juillet suivant. M. Gladstone a expliqué lui-même que son travail était d’une nature confidentielle, dans le but qu’une haute influence amenât quelque amélioration dans l’état des malheureux Napolitains; et que ce n’est que  quand il eut perdu cet espoir qu’il le porta à la barre de l’opinion publique. Il produisit une grande sensation.

Répondant à une interpellation qui lui fut adressée à la séance de la Chambre des communes du 8 août, par sir de Lacy Evans, à l’effet d’indiquer les démarches que le secrétaire d’État des affaires étrangères aurait cru devoir faire pour diminuer les rigueurs déplorables exercées dans le royaume de Naples, lord Palmerston dit au milieu des applaudissements: «Pensant que l’opinion publique de l’Europe doit être le meilleur agent pour régulariser les choses, j’ai cru devoir envoyer des exemplaires de la brochure de M. Gladstone à nos ministres près les différentes cours du continent, afin de les mettre à même de savoir ce qui se passe à Naples, et dans l’espoir que cette lecture sera le moyen le plus efficace de déterminer la puissante influence de l’opinion publique à s’employer pour assurer l’objet que nous avons tous en vue.» L’obstacle vint surtout de l’Autriche, ‘non qu’elle péchât par ignorance, mais parce qu’un tel régime avait son approbation. A Vienne, le prince de Sehwarzenberg répondit au représentant de l’Angleterre «qu’il savait parfaitement ce qui se passait à Naples, et qu’il n’avait rien à apprendre à ce sujet de lord Palmerston.» Les geôliers du Spielberg n’avaient, en effet, rien à apprendre sur les horreurs du maschio d’Ischia.

Le prince de Castelcicala, ambassadeur du roi de Naples à Londres, ayant envoyé à lord Palmerston quinze exemplaires du pamphlet de M. Macfarlane en réponse aux lettres de M. Gladstone, en reçut le 18 août, la note suivante: «J’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre du 9 de ce mois. Elle était accompagnée d’un pamphlet intitulé: Le gouvernement napolitain et M. Gladstone, dont vous me priez de faire remettre des copies aux ambassadeurs de Sa Majesté la reine auprès des différentes cours de l’Europe. Je dois vous répondre que je me crois obligé de refuser toute participation à faciliter la circulation d’un document  qui, d'après moi, ne fait honneur, ni à son auteur, ni au gouvernement qu’il-s’applique à défendre, ni enfin au. parti politique dont il se fait le champion...

Je me vois forcé de déclarer que les lettres de M. Gladstone à lord Aberdeen présentent le triste tableau d‘un système d’illégalité, d’injustice et de cruauté tel, qu’on ne croirait pas qu’il pût être exercé de nos jours dans une contrée européenne. Les renseignements que j’ai obtenus de diverses sources m’ont amené à ‘cette conclusion, que le publiciste anglais n’a nullement exagéré les maux qu’il dépeint... M. Gladstone parait avoir eu pour but d’appeler amicalement l’attention publique sur des abus qui, s’ils devaient durer plus longtemps, renverseraient nécessairement le fondement du gouvernement napolitain et ouvriraient la voie à ces explosions violentes qui éclatent tôt ou ‘tard quand l’injustice se prolonge et s’aggrave. Le gouvernement napolitain se trompe, au reste, s’il pense qu’un tissu d’assertions sans fondement et de démentis hasardés, mêlés à de grossières attaques et à des lieux-communs sur les partis politiques, lui rendra un service. En terminant, je ferai remarquer que, dans les publications de M. Macfarlane, sont contenus des aveux directs et indirects qui, contre son intention, confirment‘ plutôt qu’ils ne détruisent cette conviction.» Le gouvernement napolitain fit‘ répondre officiellement à M. Gladstone, par une brochure intitulée: Rassegna degli errori e delle fallacie. publicate dal signor Gladstone, c’est-à-dire Revue des erreurs et des mensonges publiés par M. Gladstone, qui fut de suite, à Paris, reproduite et commentée par l’Univers (23 septembre 1851 et jours suivants). Parmi les singuliers reproches formulés contre l’honorable député d’Oxford, nous citerons celui-ci: «M. Gladstone, pendant son séjour à Naples, a eu soin de ne voir aucun ministre, aucun homme considérable pas même témoigné, comme le font d’ordinaire les étrangers de distinction, le désir de voir le roi; mais eu revanche, il a passé tout son temps, à ce que dit lord Palmerston, parmi les détenus dans les prisons, parmi les galéw riens dans les bagues...

Il a pris ses renseignements auprès des détenus et des condamnés, au lieu de les demander aux personnes qui auraient pu lui donner des notions certaines sur les pays; par conséquent, il n’a pu que reproduire les plaintes de ces misérables, revêtues de toutes les formes de leur langage passionné.» — Mais, parmi ces misérables, il y avait des grands seigneurs, d’anciens ministres, d’anciens députés et d’anciens magistrats. Était-ce, d’ailleurs, à la cour de Naples qu’il était possible d’apprendre ce qui se passait dans les prisons du roi? Pense-ton que ce soit dans des visites faites en compagnie de personnages officiels que l’on puisse s’enquérir de la vérité? Outre que la délicatesse commande d’éviter; autant qu’on le peut, de voir les hommes publics de qui l’on prévoit qu’on aura du mal à dire, l’apologiste maladroit de Sa Majesté sicilienne se plaignait que M. Gladstone n’eût point cité ses autorités. Eût-il voulu que de nouvelles victimes fussent désignées aux vengeances royales?

Un Anglais, mort aujourd’hui, du nom d’Henry Lushington, ex-secrétaire du gouvernement de Malte, se donna la peine d’aller à Naples pour vérifier les assertions de M. Gladstone et les dénégations de la Rassegna. Il publia, dans l’automne de 1851, une brochure intitulée: Detailed. Eæpasure of the Apology, etc.

De ce nouvel examen ressortait la pleine confirmation des reproches adressés au gouvernement napolitain.

Si nous sommes revenu sur les lettres de M. Gladstone et sur les discours de lord Palmerston, c’est que leur récent retour aux affaires, l'un comme chancelier de l’Échiquier, l’autre comme premier ministre, donne une grande importance à leurs opinions dans la question napolitaine.

Il ne sera pas inutile non plus de rappeler certaines appréciations de la presse anglaise:

«Le Bourbon de Naples, disait le Times, en décembre 1853, se plaît à insulter successivement les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Une de ces puissances, avec deux vaisseaux de ligne, renverrait le roi de son trône aussi facilement qu’un domestique enlève une toile d’araignée avec son balai. Et cependant un mois ne s’écoule jamais sans que nous n’entendions parler de quelque insulte faite par ce misérable souverain à quelque sujet de la France, de l’Angleterre on de l’Amérique.»

Au mois de juillet 1854, le Times disait encore, à propos de vexations infligées aux voyageurs anglais et français: «Il s’agit de savoir jusqu’à quel point on permettra qu’un des plus faibles monarques d’Europe, qui conserve son trône par pure tolérance, nargue ainsi les grandes puissances et l’opinion publique de l’Europe. Quand nous aurons réglé les affaires d’Orient, il serait bien temps que les flottes combinées lissent une visite à Naples avant de rentrer chez elles.»

Pendant la guerre d’Orient, une circulaire de la police napolitaine ordonnait d’arrêter toutes les personnes qui sympathisaient avec la France et l’Angleterre, et que, selon la police, on reconnaissait à leurs barbes et à leurs chapeaux à larges bords. Et la police ne s’en tint pas là. Une autre circulaire, non moins burlesque mais plus odieuse, les soumettait à la peine de la bastonnade. «Dans plus d’une occasion, le gouvernement de Naples a montré son hostilité envers l’Angleterre et la France en interdisant l’exportation d’articles que sa neutralité n’exigeait pas de prohiber,» a dit lord Palmerstou à la Chambre des communes, dans la séance du 7 août 1855. En effet, le gouvernement napolitain avait défendu l’exportation des grains, malgré l’abondance des dernières récoltes, retirant ainsi à la France et à l’Angleterre un moyen facile d‘approvisionnements pour leurs armées de Crimée.

«Le 15 août 1855, le bâtiment de la marine impériale la Gorgone, en relâche dans le port de Messine, y célébra  la tête  de l’Empereur. Le commandant militaire de la place, bien qu’averti par le vice-consul de France et par M. l’intendant civil de Messine, s’abstint de se conformer à l’usage suivi entre nations amies, et n’arbora pas le pavillon napolitain.» Le Moniteur, en faisant connaître cet incident, ajoutait que sur la plainte du gouvernement français, le gouvernement napolitain avait donné l’assurance que de tels faits ne se renouvelleraient plus. A la même époque, un des principaux attachés de la légation anglaise à Naples, était publiquement insulté par le ministre de la police. C’est a cette occasion que le Times publia l’article suivant: «La France garde aujourd’hui l’Algérie en compensation de l’affront fait à un agent consulaire, et qui n’était pas plus sanglant que celui qu’a reçu l’autre jour, d’un vil agent de police, un employé anglais. La France, n’a pas été, en maintes occasions, plus courtoisement traitée que nous. N’y eût-il pas encore d’autres motifs, il conviendrait assurément que les deux grandes nations du monde missent, par un simple effort de leur volonté, un terme à tant d’horribles maux dont ce monarque à demi insensé et sa police accablent tant de milliers, pour ne pas dire tant de millions de nos semblables. Quand les croiseurs français et anglais vont et viennent dans la Méditerranée, y aurait-il grand mal à ce qu’ils entrassent dans la baie, y restassent quelques heures et missent un peu les choses en ‘bon ordre?... C’est une question que de savoir si la France et l’Angleterre ne trahissent pas leur haute mission, quand elles souffrent que la population sans défense des Deux-Siciles gémisse sous le poids de ces intolérables barbaries. Que le roi de Naples garde ses États et les gouverne comme il l’entend; s’il peut le faire sans outrager constamment l’humanité, nous n’avons nulle envie de nous mêler des affaires d’Italie. Toutefois, l’indignation pourra un jour être plus forte que la politique. Si les sujets du roi Bomba sont jamais assez forts pour prendre en main l’affaire, il n’est personne dans l’Europe occidentale qui ne leur souhaitât un bon succès.»

Après le Congrès de Paris, le Times du 27 juin 1856 disait: «C’est un reproche à faire à la France et à l’Angleterre, que deux puissances pareilles ne puissent ou ne veuillent mettre un terme par la force à des abominations telles que celles qui déshonorent chaque jour et à toute heure les magnifiques rivages de la haie de Naples. Tous les hommes qui n’ont pas appris à apprécier les réticences de la diplomatie se demandent comment une demi-douzaine de bâtiments de transport ramenant de Crimée des troupes françaises et anglaises, avec le même nombre de vaisseaux de guerre, ne vont pas jeter l’ancre pour quelques heures en face du palais du roi et remettre dans le droit chemin ce qui en est complètement sorti.» Peu de temps auparavant, en réponse à des insultes faites à l’Angleterre, le Times s’écriait: «Nous espérons apprendre bientôt que la légation anglaise à Naples a fait connaître le véritable état des choses. Si nous n’avons pas eu une satisfaction réelle, il nous la faut, dût une conflagration générale des États napolitains en être la conséquence.»

Or, une conflagration des États napolitains eût forcément entraîné une conflagration de toute l’Italie. On ne pouvait toucher à un lieutenant de l’Autriche sans que l’Autriche l’assistât. La neutralité actuelle de l’Angleterre et les paroles récentes de lord Palmerston sur la nécessité qu’il y ait une Autriche forte (discours aux électeurs de Tiverton, avril 1859), font voir combien il était probable que l’Angleterre, après avoir irrévocablement brouillé la France avec l’Autriche en l’engageant dans le conflit napolitain, l’eût promptement laissée seule. alors que la France ne se trouvait pas suffisamment prête pour une grande lutte. Ce n’est point sur la question napolitaine, mais sur la question italienne, que devait éclater la guerre, non pour des réformes intérieures, mais pour l’indépendance nationale. Mais la question de l’indépendance italienne ne pouvait être soulevée avant que ne fut fini le premier acte de la question d’Orient.

Il avait été dit dans le Congrès de Paris: «Qu’on devait, sans nul doute, reconnaître en principe qu’aucun gouvernement n’a le droit d’intervenir dans les affaires intérieures des autres États; mais qu’il était des cas où l’exception à cette règle devenait également un droit et un devoir; que le gouvernement napolitain semblait avoir conféré ce droit et imposé ce devoir à l’Europe...» (Paroles du premier plénipotentiaire de la Chaude-Bretagne, lord Clarendon, à la séance du 8 avril 1856. ) Il fut arrêté que des démarches seraient faites pour obtenir du roi de Naples l’amélioration de son système de gouvernement. La décision du Congrès fut aigrement critiquée par les défenseurs du régime napolitain. Ils disaient, par exemple, que traduire le roi de Naples à la barre de l’opinion européenne pour lui imposer des actes de clémence, c’est lui en enlever tout le mérite s’il les accorde, et légitimer d’avance la sédition s’il les refuse. Mais que faire avec des princes qui, si on leur adresse des représentations, disent: Nous ne pouvons céder à la violence morale; et qui, laissés à eux-mêmes, ne font rien. Une intervention diplomatique eut lieu à Naples de la part de la France et de l’Angleterre.

Le roi de Naples n’en continua pas moins son système.

Il y eut toujours autant de prisonniers, autant de proscrits, autant de biens sous le séquestre, autant de jugements iniques, autant de traitements barbares infligés aux prisonniers politiques. Ainsi, par exemple, le capitaine Acuti, ancien commandant du bague de Procida, dans sa déposition devant la cour criminelle de Naples, avoua avoir fait administrer en un seul jour deux mille sept cents coups de bâton à cinquante-quatre condamnés, en vertu des ordres du général Palumbo, inspecteur en chef des bagues du royaume.

A la Chambre des lords, dans la séance du 12 juillet 1856, lord Clarendon, ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni, prononçait ces paroles:

«Je souhaiterais pouvoir dire que le résultat de nos communications avec le roi de Naples a été satisfaisant. Je ne le puis, car il est impossible que deux gouvernements se trouvent plus en désaccord que le gouvernement de Sa Majesté et le gouvernement du roi de Naples. Nous avons établi nos raisons de croire que l’état de choses existant à Naples était dangereux pour la stabilité du trône et aussi pour la tranquillité de l’Europe. Nous avons particulièrement insisté sur les dangers qui menaçaient le roi et sur la nécessité d’une meilleure administration de la justice. Nous avons accusé l’inconvénient, pour ne pas dire le danger, d’une politique fondée sur une injuste persécution, et par. dessus tout nous avons montré combien il était essentiel que les sujets du roi trouvassent auprès du gouvernement des garanties de sécurité pour leurs personnes et leurs propriétés. Je me bornerai à dire de la réponse du gouvernement napolitain, qu’il était impossible qu’elle fût moins satisfaisante.»

Dans les premiers jours d’août 1856, le chargé d’affaires anglais à Naples, M. Petre, écrivait à lord Clarendon que les procès politiques allaient reprendre leur cours. «Quel que soit le résultat de ces procès, disait-il, ils nous ont révélé des scènes de subornation, de parjure, de cruauté qui, je crois, n’ont point été surpassées, même-dans les annales judiciaires de ce pays.» Et il ajoutait, le 5 septembre, «que le nom de la royauté était souillé par le contact des détails les plus dégoûtants du châtiment des condamnés.» Le 6 octobre, M. Petre annonça que le procès Mignona, commencé le 3 septembre, était arrivé à sa fin le 2 octobre. La cour avait déclaré qu’il n’y avait pas eu de conspiration mais seulement projet de conspiration. En conséquence, trois accusés furent condamnés à douze  années de' fer comme récidivistes; l’avocat Mignona à l’exil perpétuel du royaume, et un prêtre a deux années de prison pour n’avoir pas révélé le projet de conspiration dont il avait eu connaissance.

Le 10 octobre, lord Clarendon, par dépêche à M. Petre, opérait la rupture des relations diplomatiques avec Naples en ces termes: «Le gouvernement de Sa Majesté, d’accord avec le gouvernement de Sa Majesté l"Empereur des Français, a pensé que des relations diplomatiques ne pouvaient pas être maintenues plus longtemps avec un gouvernement qui repousse tous les avis amicaux et qui est déterminé à persévérer dans un système condamné par toutes les nations civilisées. En conséquence, à la réception de cette dépêche, vous quitterez Naples avec les membres de la légation, laissant les archives à la garde du consul. de Sa Majesté. Des instructions semblables seront adressées au ministre de France.» M. le baron Brenier fut, en effet, rappelé de Naples par dépêche du comte Walewski, en date du 12 octobre.

Le 20 octobre 1856, le Moniteur publiait la note suivante:

«La paix conclue, la première préoccupation du Congrès de Paris a été d’en assurer la durée. Dans ce but, les plénipotentiaires ont examiné les éléments de perturbation qui existaient encore en Europe... La cour de Naples seule a rejeté avec hauteur les conseils de la France et de l’Angleterre, quoique présentés sous la forme la plus amicale. Les mesures de rigueur et de compression érigées depuis longtemps en moyens d'administration par le gouvernement des Deux-Siciles, agitent l’Italie et compromettent l’ordre en Europe. convaincues des dangers d’une semblable situation, la France et l’Angleterre avaient espéré la conjurer par de sages avis donnés en temps opportun; ces avis ont été méconnus. Le gouvernement des Deux-Siciles, fermant les yeux à l’évidence, a voulu persévérer dans une voie fatale. Le mauvais accueil fait a des observations légitimes, un doute injurieux jeté sur la pureté des intentions, un langage blessant opposé à des conseils salutaires, et enfin des refus obstinés, ne permettaient pas de maintenir plus longtemps les relations amicales. Cédant aux suggestions d‘une grande puissance, le cabinet de Naples a tenté d‘atténuer l’effet produit par une première réponse;

mais ce semblant de condescendance n’a été qu’une preuve de plus de sa résolution de ne tenir aucun compte de la sollicitude de la France et de l’Angleterre pour les intérêts généraux de l’Europe. L’hésitation n’était plus permise: il a fallu rompre les relations diplomatiques avec une cour qui en avait elle-même si profondément altéré le caractère...»

Lors de l’ouverture du Corps-Législatif, l’Empereur Napoléon III dit dans son discours du 16 février 1857: «Si un désaccord regrettable s’est élevé au sujet des affaires de Naples, il faut encore l’imputer à ce désir qui anime également le gouvernement de la reine Victoria et le mien en faveur de l’humanité ‘et de la civilisation.» Le Morning-Post, organe de lord Palmerston, avait dit le 22 décembre précédent: «Le roi de Naples n’a fait qu’aller de mal en pis depuis son avènement. La mesure de ses iniquités se remplit depuis un quart de siècle; elle est pleine et même elle déborde... Le roi croit pouvoir continuer à opprimer ses sujets et a défier le monde civilisé.» Et cela dura ainsi jusqu’à sa mort, 22 mai 1859.

A l’avénemeut d’un nouveau roi, les relations diplomatiques devaient naturellement être reprises; et elles l’ont été. On ne pouvait, en effet, préjuger les actes de Sa Majesté FrançoisII, ni les condamner par avance. Mais elles ne peuvent subsister qu’à la condition que ces actes soient différents de ceux de Ferdinand Il qui avaient motivé la rupture.

En annonçant la mort du roi de Naples, le Morning Hérald, organe du cabinet de lord Derby, disait le 24 mai: «Le successeur du roi de Naples a une bonne occasion d’accorder aux peuples des Deux Siciles ces privilèges constitutionnels qu’on leur a si souvent promis... Qu’il place sa confiance en des hommes éprouvés, et qu’il proclame la Constitution.»

Si les Tories eux-mêmes ont reconnu la nécessité d’une Constitution napolitaine, à plus forte raison doit-elle être réclamée par le nouveau cabinet qui vient d’être formé par lord Palmerston de Whigs et de libéraux, et où siègent lord John Russell,

le constant promoteur de la réforme parlementaire en Angleterre, ainsi que M. Gladstone qui a si fortement montré combien l’absence de toute garantie constitutionnelle était préjudiciable aux intérêts de l’Italie méridionale. On a beaucoup remarqué l’entrée de M. Gladstone au ministère. Il avait voté pour le cabinet Derby, la nuit même de sa chute (10 juin). Et pourtant il fut appelé à faire partie du cabinet qui l’a remplacé. La notoriété qu’il s’est acquise dans les affaires de Naples n’a pas été étrangère à ce choix, au moment où l’Angleterre allait avoir à s’occuper de cette question. Cela fait naturellement penser que le cabinet de lord Palmerston essaiera de la résoudre dans le sens des idées que M. Gladstone a vulgarisées.

Voici ce que M. Gladstone a écrit de la Constitution napolitaine: «La Constitution donnée spontanément en janvier 1848, jurée comme irrévocable avec toutes les circonstances d’une solennité, n’a été jusqu’à ce jour révoquée ni légalement ni même ostensiblement, quoique violée par le gouvernement dans presque tous ses actes... Entre autres dispositions, nous citerons les articles suivants: Art. 1Er . Le royaume des Deux-Siciles sera à l’avenir soumis à une monarchie limitée, héréditaire et constitutionnelle sous la forme représentative. Art. 4. Le pouvoir législatif réside en la personne du roi et d’un Parlement national, composé (le deux Chambres, 'l’une des pairs et l’autre des députés. Art. 14. Les impôts d’aucune nature ne peuvent être décrétés, si ce n’est en vertu de la loi, ceux communaux compris. Art. 24. La liberté personnelle est garantie. Nul ne peut être arrêté, si ce n’est en vertu d’un acte conforme à la loi, émané d’une autorité compétente. Dans le cas (l’arrestation préventive, l’accusé doit être conduit devant l’autorité compétente, au plus tard dans les vingt-quatre heures, et on doit lui faire connaître dans le même délai les causes de son arrestation.

— A l’égard de l’article 1er, il n’existe ni Chambre des pairs ni Chambre des députés. De l’article 1, toutes les taxes sont imposées et perçues par l’autorité royale seule. De l’article 21:, les personnes étaient arrêtées par centaines, quand j’étais à Naples, un peu avant Noël, sans aucun mandat légal, sans le plus léger prétexte de délits ou de quasidélits; on ne les conduisait pas devant l’autorité compétente dans les vingt-quatre heures, et même pas du tout; elles étaient séquestrées de la manière la plus rigoureuse, sans en référer à aucune ‘cour et sans leur donner connaissance des motifs de leur arrestation. Tel est 'l’état des choses... La conduite actuelle du gouvernement se trouve en contradiction sur tous les points avec la loi fondamentale incontestable, à laquelle il porte constamment défi.»

Il en est résulté un arbitraire effréné. Les‘ finances étant sans contrôle sont livrées aux exactions, aux concussions et au gaspillage. Les charges en pèsent plus lourdement sur le peuple, et les travaux publics sont nuls. La justice est censée rendue conformément au Code Napoléon, importé à Naples par Murat et conservé par la Restauration. Mais il est dénaturé par une série de rescrits et de décrets d’un esprit tout opposé. Puis, outre les tribunaux spéciaux pour causes politiques, il y a des juridictions exceptionnelles distinctes pour les questions financières, administratives et ecclésiastiques. La bastonnade a été substituée pour certains délits aux peines prononcées par le Code Napoléon; la torture, bien que non rétablie par décret, est pratiquée par la gendarmerie et la police. La police compte de quatre-vingt—dix à cent mille agents dans un royaume de huit à neuf millions. Elle se recrute parmi les criminels, et elle se trouve investie d’un pouvoir presque sans bornes sur la personne et les biens de chacun. L’instruction publique est abandonnée aux jésuites, auxiliaires complaisants de la police.

La censure de toute publication qui s’imprime dans le royaume ou vient de l’étranger est exercée simultanément par la police et par les prêtres; et, en général, ils trouvent plus simple de supprimer les écrits que de les examiner. L’armée, régie par l’espionnage et par la terreur, renferme dans son sein, connue une espèce de citadelle, un corps de vingt mille Suisses. Les Suisses tiennent en respect l’armée; celle-ci, les classes instruites et la partie mécontente de la plèbe. Pour l’autre partie, les lazzaroni de Naples et les paysans des provinces continentales, il y a d’autres moyens de gouvernement: des récompenses et des flatteries royales aux moines populaires, des superstitions grossières soigneusement entretenues, et au besoin la permission du pillage.

Le roi Ferdinand II a laissé les Deux-Siciles dans une triste situation. Le mal y vient surtout de l’arbitraire. Comment un roi absolu y pourrait-il donc remédier? Il y faut le concours de la nation.

En Italie, chaque fois que l’établissement- d’institutions constitutionnelles est nécessité par la force des choses, on met en avant un projet de Consulte. Le prince déclare alors vouloir s’entourer des lumières des hommes les plus considérables par leur talent et leur position, et sans l’avis desquels il ne donnera sa sanction à aucune lui. C’est ce que Ferdinand 1er fit en 1821. Formule qui signifie: Parons— nous contre l’orage. Plus tard, l’avis de la consulte devient simplement facultatif; c’est ce que Ferdinand 1er fit en 1824 Formule qui signifie: Le bon temps est revenu. La consulte est une sorte de conseil d’État qui est censé donner son avis sur toutes les grandes questions, mais qu’on ne consulte pas même pour les petites. Les consultes sont données pour prévenir une victoire du peuple ou pour lui masquer sa défaite. C’est une invention austro-papale qui a déjà figuré, et on sait avec quel honneur, à Milan et à Rome. Il y a une consulte à Naples depuis dix ans. Mais qui en sait l’existence?

Elle offre, il est vrai, d’assez belles sinécures à d’anciens serviteurs de la cour ou à des nobles sans considération et sans fortune. En changera-ton les membres? Qu’espérer jamais de la réunion d’une vingtaine de courtisans choisis par le roi, amovibles et grassement payés?

D’où la nécessité d’un Parlement national. Mais il faudrait de sérieuses garanties.

Il est difficile que les Napolitains et les Siciliens fassent quelque fonds sur les promesses et les concessions constitutionnelles que leur accorderait un Bourbon de Naples.

«Le cœur est navré de douleur, écrivait, il y a déjà de longues années, un proscrit italien, quand on songe combien peu nous a profité l’expérience de nos pères, à nous qui, en 1820, avons été assez oublieux du passé, assez aveugles pour croire encore aux serments de ces mêmes Bourbons qui s’étaient déjà parjurés en 1799, parjurés en 1812 et en 1815, parjurés en Sicile comme à Naples, avant comme après leur restauration sur le trône.» Ferdinand 1er a été quatre fois parjure envers son peuple; son fils François Ier l’a surpassé en fausseté et en trahison; son petit-fils Ferdinand Il. n’a pas été moins perfide.

Si Ferdinand II, après dix-sept ans d’un règne absolu, octroya une constitution, c’est qu’une insurrection formidable avait éclaté en Sicile, que l’émotion populaire avait gagné la province de Salerne, puis Naples. Le 29 janvier 1848, ou bombardait Messine par ordre du roi; le même jour, sur le refus du commandant du fort Saint-Elme, général Roberti, de tirer à boulets rouges sur Naples, S. M. Ferdinand fit cette proclamation: «Ayant entendu le vœu général de nos bien-aimés sujets pour avoir des garanties et des institutions conformes à la civilisation moderne, nous  déclarons que notre volonté est de condescendre aux désirs qui nous ont été manifestés, en donnant une Constitution.»

Le 10 février il publia et jura la Constitution au milieu de l’allégresse universelle. Après la Révolution de Paris du 24 février, généralisée en mars dans presque toute l’Europe, les insuffisances de la Constitution furent plus vivement senties. Le roi, par l’organe d’un nouveau ministère, étendit, le 5 avril, la loi électorale en réservant à la représentation nationale le développement de la Constitution.

Les élections eurent lieu le 18 avril. Le 15, Liberatore, un des jésuites de Naples, avait dit dans un sermon: «Le souverain n’a montré ni ténacité opiniâtre, ni faiblesse précipitée, il a différé, même résisté jusqu’à ce qu’il lui ait été démontré que le vœu émanait du désir universel du peuple et non de l’initiative isolée d’un parti; il a daigné accorder avec joie lorsqu’il avait encore le pouvoir de résister. Aussi, il est évident que sa détermination n’est pas le résultat de la violence ni de la crainte, mais de sa volonté libre et prévoyante.» L’élection donna la majorité aux libéraux. Le roi en fut irrité. ll ajourna la convocation du' Parlement du 1er au 15 mai. La veille de l’ouverture, il imagina d’imposer aux députés cette bizarre formule de serment: «Je jure de professer et de faire professer la religion catholique, apostolique et romaine. Je jure fidélité au roi du royaume des Deux-Siciles. Je jure d’observer la Constitution octroyée par le roi, le 10 février. «Le premier article n’était pas moins attentatoire au bon sens qu’à la liberté de conscience. Le second article impliquait une guerre fratricide avec la Sicile qui venait de secouer, le 13 avril, le joug bourbonien. Par le troisième, ou se fût interdit de ‘modifier la Constitution. Il s’ensuivit une défiance, une irritation croissantes entre les députés, les ministres, le roi, la garde nationale et le peuple: d’où les barricades et les massacres du 15 mai. Le roi avait saisi avec empressement l’occasion de détruire dans son germe la liberté napolitaine. Toutefois, il croyait encore la dissimulation nécessaire. Même après les abominables excès de sa soldatesque et la violation de toutes les lois par lui-même, il disait dans sa proclamation du 24 mai:

«Ma volonté fixe et irrévocable est de maintenir la Constitution du 10 février pure de la souillure de tous excès. Comme elle est seule compatible avec les besoins réels et immédiats de cette partie de l’Italie, elle sera l’arche sainte sur laquelle reposeront les destinées de notre bien-aimé peuple et de notre couronne... Confiez-vous de toute l’abondance de vos cœurs à notre bonne-foi, à nos sentiments religieux et à notre serment sacré et spontané.» La Chambre des députés fut cassée avant même d’avoir siégé, la garde nationale dissoute, la ville désarmée. Les franchises électorales du 5 avril furent déclarées subver— sives et anarchiques. Un suffrage restreint fut décrété. Les colléges électoraux furent convoqués pour le 13 juin, au moment même où commençaient les emprisonnements et les procès. Le roi, en s’adressant à un corps électoral privilégié, pensait trouver une majorité docile. Il eût voulu tuer le constitutionnalisme par le jeu même des institutions constitutionnelles. Mais, à l’honneur des Napolitains, il ne put réussir dans ce projet pervers. Cette fois encore, l’élection donna une majorité libérale: «Il paraît, a dit l'honorable M. Gladstone, que le nombre des membres de la Chambre des députés était au grand complet de 162, ils avaient été élus par un scrutin qui avait donné 117,000 votants. Le plus grand nombre de ces députés qui se rendirent à Naples pour remplir leur mandat, fut de 140. Une majorité absolue d’entre eux, ou 76, furent ou arrêtés, ou exilés, outre ceux qui furent privés des charges dont ils étaient pourvus. Ainsi, après la formation régulière de la Chambre représentative populaire et sa suppression à la barbe de la Constitution, le gouvernement napolitain a mis le comble à son audace en jetant en prison ou en poussant dans l’exil, par le désir d’échapper à la captivité, la majorité effective des représentants du peuple.»

Cela parut pourtant naturel aux avocats du roi de Naples; on ' lisait, en effet, dans I’Univers du 5 septembre 1851: «Le produit des secondes élections ne valait pas mieux que le premier, les députés élus ne représentaient, en réalité, que le parti révolutionnaire... Une dissolution devint encore nécessaire.» La Constitution est restée indéfiniment suspendue. Le roi Ferdinand Il a confirmé ainsi cette parole qu’il avait dite au début de son règne, en parlant d’un monarque constitutionnel: «Les Bourbons de Naples ne sont pas du bois dont on fait des toupies.»

Le, petit catéchisme, publié à Naples en 1849, contenait ces phrases: «Demande: Si la monarchie absolue est l’œuvre de Dieu, qui donc a établi la Constitution? —— Réponse: La Constitution, véritable rébellion, ainsi que l’événement l’a toujours démontré, ne saurait être, qu’une émanation de l’enfer, puisque la première rébellion fut conseillée par le démon à nos premiers parents, en leur persuadant fausse ment qu’ils pouvaient être les égaux de Dieu.»

On put appliquer à S. M. Ferdinand II avec vérité, ces paroles de Machiavel: «Jamais il ne songea à autre chose qu’à tromper ses peuples, et jamais l’occasion ne lui fit défaut. Jamais homme n’eut plus d’effronterie, n’ai firma avec de plus grands serments et ne tint moins ce qu’il avait promis.» Il a voulu tromper, même après sa mort, par l’organe de son fils à qui il conseilla de ruser avec les événements, lui transmettant la tradition et le secret de la famille, qui a toujours consisté à résister, longtemps, a savoir céder, à endormir les libéraux par de belles‘ paroles, sauf à les écraser en temps opportun. Ainsi, le mardi 12 avril, lorsque le roi Ferdinand II ont reçu les derniers sacrements et qu’il présenta son fils ainé aux assistants, en leur disant:

«Voici votre roi,» il dit encore: «Mon fils, je te conseille de ne pas gouverner avec trop de rigueur, parce que les temps ne le permettent pas.»

Il ajouta pourtant: «Comme homme politique, je n’ai rien à me reprocher.» De telle sorte qu’il est mort dans l’impénitence finale.

Toutefois, il semble qu’il ait désespéré de l’avenir; car, quelques jours auparavant, une nuit qu’il était plus mal, voyant entrer les médecins à minuit, il s’émut violemment et dit: «Je suis donc fini!» Et il ajouta enlevant un bras: «Hanno vinto la causa! Ils ont gagné leur cause.» L’Empereur Julien mourant, lui aussi, s’était écrié: Tu vicisti Galilaee.

La cause de la liberté triomphe aujourd’hui dans la haute Italie. Elle doit triompher aussi à Naples et en Sicile. La liberté viendra-t-elle dans le sud de l’Italie par le nouveau roi de Naples, comme dans le nord de l’Italie par le roi de Piémont? Voilà la question. S. M. François II rencontrera bien des obstacles dans les traditions de sa maison. Son père Ferdinand II, son grand-père François 1er, son arrière grand-père Ferdinand 1er, ont à eux trois régné près de quatre-vingt-dix ans. Et ce furent quatre-vingt-dix années d’un despotisme continu. Le jeune roi aura-t-il l’âme assez élevée et la main assez ferme pour détruire ce que ses pères ont fait et inaugurer de lui-même dans les Deux-Siciles des jours nouveaux? Un mauvais génie n’a cessé de planer sur cette dynastie, celui de la reine Marie-Caroline d’Autriche qui, en épousant Ferdinand I°’, rompit l’alliance de Naples avec la France et inocula à la monarchie napolitaine le virus autrichien. C’est de cette reine que l’Empereur Napoléon écrivait au roi Joseph, le 31 mai 1807: «Cette femme est le crime personnifié.» Un éminent historien français l’a caractérisée comme il suit: «La reine Caroline d’Autriche, sœur de Marie-Antoinette tout Anglaise, étant gouvernée absolument gant irlandais, son ministre Acton,  Galloise, Emma Hamilton, qu’elle aimait éperdument. Au musée du Palais-Royal, malheureusement détruit (en 1848), tout le monde a pu voir, dans un très-beau buste italien, l’image de cette Messaline de Naples.

Tout observateur, à la première vue, était obligé de se dire: C’est la figure même du vice. Sur cette tête sensuelle et basse, bouille de passions furieuses et de luxure effrénée, on pouvait hardiment jurer que l’histoire n’a pas menti.» (MICIIELET).

Cette reine, qui fut l’opprobre et le malheur de son peuple et demeura l’ennemie implacable de la France, eut pour fille Marie-Amélie qui, en 1809, se maria à Lonis-Philippe d’Orléans, et fut dix-huit ans reine des Français. Le roi François 1er, fils de Marie-Caroline, lui donna deux petites filles, dont l’une, Caroline, devint en 1816 duchesse de Herry, et dont l’autre, Marie-Christine, épousa eu. 1829 le roi d’Espagne Ferdinand VII.

Si l’on s’étonne que la France soit restée si longtemps sans rien faire pour les Deux-Siciles, ces parentés et ces alliances l’expliquent suffisamment. C’étaient sur les deux trônes, mêmes intérêts, même politique. Comment le roi qui restaurait en France les cours prévôtales, eût-il pu s’indigner de savoir qu’elles fonctionnaient à Naples‘? Comment les ministres qui préparaient l’expédition d’Espagne pour y prêter main-forte au roicontre son peuple et y détruire la Constitution, eussent-ils pu trouver mauvais que l’Autriche aidât le roi de Naples à se débarrasser de la sienne en 1821? Toutefois, le mal était si grand, que M. de Chateaubriand écrivait de Borne, le 16 avril 1829, à M. le Ministre des affaires étrangères: «Il est malheureusement trop vrai que le gouvernement des Deux-Siciles est tombé au dernier degré du mépris. La manière dont la cour vit au milieu de ses gardes, toujours tremblante, toujours poursuivie par les fantômes de la peur, n’offrant pour tout spectacle que des chasses ruineuses et des gibets, contribue de plus en plus dans ce pays ià avilir. mas la royauté. Mais on prend pour des conspirations ce qui n’est que le malaise de tous, le produit du siècle, la lutte de l’ancienne société avec la nouvelle, le combat de la décrépitude des vieilles institutions contre l’énergie des jeunes générations.»

Au mois de mai 1830, le roi François 1er vint à Paris. Malgré les cruautés qu’il avait ordonnées, il n’en fut pas moins bien accueilli par la cour des Tuileries.

Au lendemain de la Révolution de Juillet, le général Lafayette pressait le nouveau roide soutenir la cause de la liberté italienne. Quant à Naples, Louis-Philippe répondit.

«Qu’il désirait beaucoup voir les Deux-Siciles sous un régime constitutionnel; mais que tout ce qu’il pouvait faire, c’était d’envoyer au roi François, son beau-frère, un mémoire on serait exposée la manière dont il pourrait donner une Constitution aux Deux-Siciles. en évitant. jusqu’à la plus légère commotion.» C’était une véritable dérision: bientôt il s’y joignit l’odieux. Les Italiens, trompés par le faux libéralisme du duc d’Orléans et les sympathies menteuses du roi-citoyen. avaient confié à Louis-Philippe, en. 1830 et 1831, leur projet de réunir l’Italie tout entière sous la royauté du duc de Modène, dont un des fils aurait épousé une des filles du roi, des Français. Louis Philippe y applaudit d’abord par la nécessité de ménager les hommes de la révolution dont il avait encore besoin et aussi par le désir de se réserver un profit possible. Il. ne tarda pas à trouver plus prudent d’avertir‘ le prince de Metternich, ce qui lui procurait l’avantage immédiat d’un. service rendu tenta la fois à l’Autriche et à son parent le roi des Deux» Siciles. Il ne se préoccupa jamais a Naples. que d’intérêts de famille. En 1844 il obtint pour son fils, le duc d’Aumale, la main de Marie Caroline, petite-fille de la reine Marie— Caroline et fille. d'une archiduchesse d’Autriche et du prince de Salerne, lui-même frère de Marie-Amélie, oncle de, Ferdinand II.

La fatale influence de Louis-Philippe sur les affaires de Naples ne cessa pas avec son règne. L’amiral Baudin, de qui la présence dans les eaux de Naples fut si décisive le 15 mai 1848, ne s’était rallié à la République que pour continuer les traditions orléanistes: il s’y conduisit non connue un représentant de la République, mais comme un ‘serviteur du roi déchu, sans autre souci que de préserver le trône du neveu de son ancien maître.

On trouve, à ce sujet, de curieux détails dans l’opuscule du prince-amiral de Joinville, sur l’escadre de la Méditerranée. «Le roi Louis-Philippe avait cessé de régner... Un nouveau chef, l’amiral Baudin, fut aussitôt envoyé à l’escadre... Sans perdre un instant, il se décida à l’arracher au spectacle et à la contagion des saturnales révolutionnaires... A peine venait-elle d’arriver aux îles d’Hyères, que l’ordre lui fut donné de se rendre sur les côtes d’Italie, pour y appuyer la politique de la France... Il se peut qu’elle ait quelquefois exercé son influence d’une manière peu conforme aux vues du gouvernement dont émanaient les ordres qu’elle recevait. En des temps réguliers, cette conduite eût été blâmable... A Livourne, où régnait dès lors une démagogie ignoble et turbulente, nos officiers eurent à subir la honte d’être confondus avec les vainqueurs de Février... L’escadre fit voile vers Naples... L’autorité du roi y était en péril... L’escadre française avait reparu dans les eaux de Naples avec les mêmes équipages, les mêmes officiers, et j’ajoute avec le même esprit que huit mois auparavant... Le 15 mai, l’amiral Baudin n’avait qu’à faire un geste, et le trône du roi Ferdinand volait en éclats. Ce geste, il refusa de le faire. Pour résister aux sommations impérieuses de l’agent de la République, il avait derrière lui l’opinion de l’escadre... L’escadre ne bougea pas; elle ne brûla pas une amorce, ne débarqua pas un homme, et son immobilité fut pour les troupes napolitaines une tacite assistance qui releva leur courage et les aida à‘ triompher de l’insurrection. Spectacle étrange, en apparence, que celui qui fut donné alors! Le trône du roi le moins populaire de l’Europe venait d’être raffermi par le concours moral de l’escadre de la‘ République française!» C’est ainsi que le 15 mai 1848, le roi Ferdinand il put disperser le Parlement napolitain, faire mitrailler sa capitale par ses Suisses et la livrer au pillage de ses lazzaroni, sous les yeux de la flotte française!

Et pourtant, le député Joseph Napoléon Ricciardi avait été à bord du Friedland supplier l’amiral d’intervenir, en lui disant: «Il dépend de vous de sauver, non-seulement nos libertés, mais la cause de l’Italie tout entière. Car Ferdinand, une fois vainqueur, retirera à la guerre de l’indépendance les secours que l’ascendant de l’opinion publique l’avait seul forcé de lui accorder. «L’amiral déclarait ne pouvoir intervenir dans leurs affaires intérieures. C’est en vain qu’on lui objectait que Naples était sous le joug de mercenaires étrangers. C’est en vain que l’énergique représentant de la République, M. Edmond Levraud, insista toute une heure durant. Du pont du Friedland on entendait la fusillade; mais le lâche abandon fut consommé. Le lendemain, Ferdinand Il était redevenu roi absolu; il rappelait son armée des rives du Pô, sa flotte des eaux de Venise; l’indépendance italienne avait perdu un renfort, la politique française un appui, l'Autriche avait regagné son vieil allié.

Peu de mois après, l’escadre française fit en Sicile ce qu’elle avait fait à Naples. Le général Filangieri put librement passer sous ses yeux, avec son armée, pour aller écraser les Siciliens. Messine fut soumise par lui à un bombardement de quatre jours (du 3 au 7 septembre 1848). Les vaisseaux français assistèrent impassibles aux plus’ épouvantables scènes de destruction, qu’un seul mot du commandant français de la division navale eût. pu l'aire cesser. La noble et courageuse conduite de notre consul, M. le comte de Maricourt, sauva seule l’honneur de la France dans ces tristes jours. M. le prince-amiral de Joinville loue l’attitude que l’escadre tint alors. «Le dilemme, dit-il, avait été celui-ci: rendre la Sicile au roi Ferdinand ou la jeter aux bras de l’Angleterre.» Ce qui n’est que couvrir un mauvais acte d’une raison pitoyable. Car il était assurément plus simple de laisser la Sicile à elle-même.

Dans le fait, la Sicile fut rejetée sons le joug du Bourbon de Naples, qui ne voulait pas de l’indépendance nationale, et empêchée de s’unir, comme elle l’avait voté, au Piémont, qui combattait pour l’affranchissement de la patrie italienne. La France y perdit plus que l’Angleterre.

En lisant les phrases de M. de Joinville sur la marine, on se rappelle involontairement que c’est la grand’ mère de ce ‘prince-amiral, la reine Caroline, qui, au 'dire même de Nelson, en ravitaillant la flotte anglaise, malgré la neutralité jurée ‘à la France, rendit possible la bataille d’Aboukir et la destruction de la flotte française. «Je vous écris avec une joie inexprimable, disait-elle alors dans sa dépêche au marquis de Circello, son ambassadeur à Londres... Cet anéantissement de la flotte régicide est l’ouvrage de l’intrépidité de l’amiral anglais... Vous eussiez été touché de voir mes enfants, me serrant dans leurs bras, m’exprimer, par leurs larmes et leurs caresses, toute la joie qu’ils étaient en état de ressentir d’une telle nouvelle... Bonaparte, il faut l’espérer, périra avec son armée... b L’esprit de cette famille a toujours été funeste à la liberté des peuples. N’est-ce pas l’orléanisme dont l’influence occulte s’opposait à la guerre actuelle, et qui maintenant essaye de l’exploiter à son profit? Ne voit-on pas en effet, dans les rangs piémontais, le petit duc de Chartres en quête d’un Jemmapes ou d’un Valmy. Demain, les réclamés orléanistes en feront un héros, dans l’espoir de tromper de nouveau la France sur l’égoïsme de cette famille, et de lui faciliter ainsi les voies d’un retour, si jamais nos fautes nous attiraient de Dieu ce dur châtiment  d’être remis dans leur honteuse dépendance. Tout ce que nous tenions à constater ici, c’est que tant que dura le règne ou l’influence de l’orléanisme, il n’y eut, pour les Deux-Siciles comme pour l’Italie entière, aucune indépendance, aucune liberté possibles.

Si des liens de parenté et des instincts communs unissent les d’Orléans aux Bourbons de Naples, il y a entre ‘ces Bourbons et les Napoléons le sang d’un roi-de la famille impériale. Car c’est Ferdinand 1er qui ordonna l’exécution du malheureux roi Joachim 1er au Pizzo, en ces termes: «Art. 1Er. Le général Murat sera traduit devant une commission militaire dont les membres seront nommés par notre ministre de la guerre. — Art. 2. Il ne sera accordé au condamné qu’une demi-heure pour recevoir les secours de la religion. (Signé FERDINAND).» C’était ordonner non de le juger, mais de le tuer. En effet, il fut fusillé le 13 octobre 1815. Le roi de Naples s’est glorifié de ce meurtre, mais les habitants se repentent d’avoir livré Murat. Le général Pépé rapporte, dans ses Mémoires, que les Pizzitains, lorsqu’ils voyagent dans le royaume, ou seulement dans la Calabre, cachent, quand ils le peuvent, le nom de leur terre natale. ll ajoute que quelques jours après l’exécution de Murat, la tête fut séparée du corps et envoyée dans un vase de verre rempli d’esprit-de-vin à Naples où elle fut conservée dans le palais. Il ne fallut rien moins que la vue de la tête de sa victime pour guérir la peur du roi Ferdinand: à la nouvelle de l’arrestation de Murat et tout en signant son arrêt de mort, il s’était préparé à la fuite, craignant que ses généraux ne ramenassent le captif en triomphe: tant il se sentait exécré.

En 1848, les Napolitains et les Siciliens espérèrent beaucoup de la République française. Mais ceux qui l’ont gouvernée étaient des sectateurs de l’orléanisme. C’est pourquoi ils n'ont fait que continuer sous un autre nom le règne de Louis-Philippe et tromper la confiance des  peuples. En voyant un Napoléon appelé à la Présidence, puis à l’Empire, les Napolitains et les Siciliens se reprirent à espérer, ne pouvant se persuader, quels que fussent les retards apportés, que tant de forfaits resteraient impunis.

Les Napolitains se souviennent comment l’empereur Napoléon Ier savait déjouer les intrigues et punir les trahisons. Déjà au commencement de ce siècle, les perfidies de la cour napolitaine étaient sans nombre, mais Napoléon 1er n’en était point dupe. Aussi, en 1805, lorsque la reine Caroline l’envoya complimenter à Milan, dans le temps qu’il mettait sur sa tête la couronne de fer, il apostropha ainsi l’ambassadeur: «Dites à votre reine que je connais ses intrigues contre la France, et qu’elle sera maudite par ses enfants: car je saurai punir ses trahisons; et à elle et à sa famille je laisserai à peine l’espace nécessaire pour contenir leur tombe.» La cour de Naples n’en eut pas moins, peu après, la duplicité de conclure à la fois un traité d’alliance avec l’Autriche en même temps qu’un traité de neutralité avec la France. A peine les Français avaient-ils évacué le royaume, - que la cour accueillait dans les ports de Naples et de Castellamare onze mille Russes, deux mille Monténégrins et six mille Anglais (19 nov. 1805). C’est pourquoi, au lendemain d’Austerlitz, le 376 Bulletin de la Grande-Armée contenait ces lignes: «Le général Saint-Cyr marche à grandes‘ journées sur Naples, pour punir les trahisons de la reine et précipiter du trône cette femme criminelle qui, avec tant d’impudeur, a violé tout ce qui est sacré parmi les hommes. On a voulu intercéder pour elle auprès de l’Empereur, il a répondu: Les hostilités dussent elles recommencer et la nation soutenir une guerre de trente ans, une si atroce perfidie ne peut être pardonnée.

La reine de Naples a cessé de régner; ce dernier crime a rempli sa destinée.»

Et de son camp impérial de Schoenbrunn, le 6 nivose au XIV (27 décembre 1805), l’Empereur disait à l’armée:

«Soldats: Depuis dix ans, j’ai tout fait pour sauver le roi de Naples; il a tout fait pour se perdre... Pardonnerons-nous une quatrième fois? Nous fierons-nous une quatrième fois à une cour sans foi, sans honneur, sans raison? Non! non! La dynastie de Naples a cessé de régner... Soldats, marchez... Montrez au monde de quelle manière nous punissons les parjures. Ne tardez pas à m’apprendre que le plus beau pays de la terre est affranchi du joug des hommes les plus perfides.»

A la suite de cette proclamation foudroyante, l’armée française marcha sur Naples et y entra le 1l: février 1806. La reine Caroline était en fuite: «Le sceptre de plomb de cette moderne Athalie, disait le Moniteur du 25 février, vient d’être brisé sans retour. L’Europe entière verra avec satisfaction expulsée du trône une reine qui a tant abusé de la souveraine puissance, dont tous les pas ont été marqués par des révolutions, des parjures et du sang.»

Les Napolitains se rappellent les bienfaits que la France leur apporta. «La ville est dans l’ivresse, écrivait, de Naples, le roi Joseph à Napoléon, le 15 juillet 1806. Pour la concevoir, il faut connaître les atrocités qui ont été commises il y a sept ans, celles qui avaient été commandées par la reine au moment de notre entrée ici, celles dont elle se flatte encore aujourd’hui à son passage par cette ville, (car elle convient qu’elle ne peut pas y rester longtemps). Il faut connaître cette furie, pour se faire une idée de la vérité de l’histoire de Médée. Un fils du duc de Cassano a été rôti, et ses lambeaux partagés parmi les anthropophages, il y a sept ans. Aujourd’hui on l’avait invité à un autre festin de ses autres enfants qui sont à mon service. Aussi, la frayeur des riches propriétaires, des cittadini, est portée à l’extrême.» La bonté et les lumières du roi Joseph faisaient un contraste frappant avec la cruauté et l’obscurantisme de l’ancienne cour. Les Napolitains, en se sentant aimés, s’étaient pris à l’aimer eux-mêmes. Son administration si honnête et si morale, méritait vraiment les éloges que, bien des années‘ après, lui donnait le général Lamarque, lorsqu’il écrivait au roi Joseph, exilé:

«Vous avez réellement été, à Naples, le philosophe sur le trône que Platon désirait pour le bonheur de l’humanité. Je me. souviens de vos voyages où vous prêchiez aux grands l’amour du peuple; au peuple, le respect des lois; aux prêtres, la tolérance; aux militaires, l’ordre et la modération. Sous. votre règne, trop court pour une nation qui vous a tant regretté, la féodalité fut détruite, le brigandage a disparu, le système des impôts fut changé, l’ordre dans les finances établi, l’administration créée, les grands et le’ peuple réconciliés, des routes ouvertes sur tous les points, la capitale embellie, l’armée et la marine réorganisées, les Anglais chassés de tout le royaume... Vos Mémoires seront une leçon pour les rois.» (Paris, 27 mars 1824)

L’empereur Napoléon III eut à résister à bien des instances qui lui furent faites pour qu’il permit le rétablissement de la dynastie de Joachim Murat sur le trône de Naples, et aux demandes des Napolitains qui se rappellent ce que le beau-frère de Napoléon a fait pour réveiller l’ardeur militaire des Italiens, le mouvement qu’il a imprimé à leur civilisation, l’appel qu’il leur adressa lorsque, jouant sa couronne de Naples pour tenter l’expulsion des Autrichiens et la réalisation de l’unité italienne, il lança sa proclamation de Rimini (30 mars 1815).

«Italiens! vous êtes appelés par la Providence à constituer une grande nation indépendante. Des Alpes à l’Etna, qu’un seul cri s’élève: L’indépendance de l’Italie l A‘ quel titre les peuples étrangers prétendent-ils vous ôter l’indépendance, qui est le droit le plus sacré d’un peuple? C’est donc en vain que la nature vous a donné la barrière des Alpes? Disparaisse de votre sol toute trace de domination étrangère!... Chaque nation doit se restreindre dans les limites que la nature lui a tracées. La mer et les Alpes, voilà vos frontières.

Quatre-vingt mille Italiens de Naples, conduits par leur roi, sont en marche; ils ont juré de ne poser les armes qu’après la délivrance de l’Italie... Italiens des autres provinces, levez-vous dans la plénitude de vos forces! Que par votre appui notre généreux dessein s’accomplisse! Italiens! unissez-vous. Lorsque l'indépendance aura été conquise par votre courage, un gouvernement de votre choix, une représentation vraiment nationale, une constitution digne de ce siècle, garantiront votre liberté et votre prospérité.»

Le Moniteur du 7 octobre 1855 contenait la déclaration suivante: «Le gouvernement de l’Empereur a vu avec un profond regret la publication d’une lettre au sujet des affaires de Naples, qui tendrait à faire croire que la politique de L’Empereur, au lieu d’être franche et loyale comme elle l’a toujours été vis-à-vis des gouvernements étrangers, pourrait favoriser sous main certaines prétentions. Le gouvernement les désavoue hautement, sous quelque forme qu’elles se produisent.» Ce qui était conforme à cette dictée testamentaire de Napoléon du 17 avril 1821: K Le souvenir des trônes que j’ai élevés dans l’intérêt (le ma politique générale doit être écarté. En 1815, j’avais déjà exigé de mes frères qu’ils oubliassent leurs royautés et qu’ils ne prissent que le titre de princes français. Mon fils doit suivre cet exemple; car le contraire exciterait de justes alarmes.» D’ailleurs, si au commencement de ce siècle la présence d’un prince napoléonien à Naples put servir à naturaliser‘ en Italie les idées qu’avait l'ait éclore en France la Révolution, aujourd’hui une restauration muratiste, loin d’être un progrès, serait un retard pour l’unité italienne. Mais si la France ne rétablit pas la dynastie de Murat, ce n’est pas une raison pour qu’elle tolère à Naples les actes du gouvernement.

«Il n’y a de légitime sur la terre que les ‘gouvernements avoués par les nations; les nations les créent et les détruisent selon leurs besoins; les ‘nations seules ont des droits; les individus, les familles particulières, ont seulement des devoirs à remplir,» écrivait le roi Joseph dans sa lettre à Messieurs de la Chambre des Députés de France. (New York, 18 octobre 1830. )

Et il ajoutait dans‘ sa lettre à Napoléon II: «Ce fut la guerre qui éleva sur les trônes de l’Europe les princes de sa famille; mais ce ne fut pas pour leur donner des trônes que Napoléon fit la guerre: c’étaient des positions militaires occupées pendant la lutte générale que les oligarchies avaient décidé de ne finir que par l’abaissement de la France. Il fallait ou laisser envahir les pays conquis par le système républicain auquel ils n’étaient pas préparés, ou les faire gouverner par des hommes dont le dévouement à la France et à sa personne était le plus assuré. Où pouvait-il trouver plus de garantie que dans ses frères, ‘que la nature ainsi que les bienfaits qu’ils devaient à la nation avaient destinés à partager sa mauvaise comme sa bonne fortune, l’une et l’autre inséparables de celle de la France? Aujourd’hui le temps a porté ses fruits; les nations sont plus éclairées sur leurs intérêts, elles savent bien que la nation la plus heureuse est celle où un plus grand nombre d’hommes jouit de plus de bonheur, où elle obéit à un magistrat suprême qu’elle aime, et qui lui-même n’a pas le funeste pouvoir d’abuser de la vie, des propriétés, de la liberté des peuples qu’il représente uniquement pour conserver les droits qu’ils lui ont confiés. Telles étaient les opinions, et surtout l’instinct de votre père.» (Point Breeze, 15 février 1832. ) La dynastie bourbonienne a creusé un abîme entre elle et son peuple des Deux-Siciles. Cet abîme pourra-t-il être comblé? Une réconciliation est-elle encore possible? Tout ce que nous savons, c’est que c’est seulement le prompt et sincère accomplissement des quatre points suivants qui la pourrait faciliter:

1er Amnistie complète.

2° Gouvernement constitutionnel.

3° Renvoi des Suisses.

4° Guerre à l’Autriche.

Le premier signe auquel les peuples peuvent reconnaître que le nouveau roi est disposé à régner selon les principes de la liberté, c’est l‘amnistie accordée à tous ceux qui, sous le règne précédent, ont souffert pour la cause de la liberté. Comment croire au rétablissement d’une Constitution, si ceux qui ont lutté pour cette Constitution restent en prison ou en exil! Comment croire que le roi veuille s’affranchir de la tutelle autrichienne, si ceux qui ont été condamnés pour leur hostilité contre l’Autriche restent sous le poids de leur condamnation? Comment croire à ses sentiments italiens, si ceux qui ont pris, il y a dix ans, une part si glorieuse à l’héroïque défense de Venise, demeurent proscrits?

On attendait anxieusement les premiers décrets du jeune roi. Ils ont paru le 16 juin. A la nouvelle télégraphique de l’amnistie, la presse française applaudit. Mais le texte qui nous arrive cause un désappointement général. Le décret porte: «Il est fait grâce de la peine qu’il leur reste à subir aux condamnés aux fers, à la réclusion, à la relégation et à l’emprisonnement pour les délits politiques commis dans les années 1848 et 1849, non compris dans les décrets du '27 décembre 1858 et du 18 mars 1859, selon les listes existant au ministère de grâce et de justice.» Ce qui signifie que ceux qui ont été condamnés depuis 1849 restent exclus de l’amnistie. Or, il y en a un très-grand nombre. Et la foule de ceux qui depuis plusieurs années attendent dans les cachots leur jugement, l’attendront encore. L’amnistie ne s'étend pas à ceux qui ont été compris dans les décrets rendus dans les derniers mois de sa vie par le feu roi, et qui consistaient à commuer la détention en déportation. De telle sorte que l’ancien ministre, M. Charles Poërio, l’ami de M. Gladstone, actuellement chancelier de l’Échiquier, et qui, déporté en Amérique, est parvenu a se réfugier en Angleterre, ne pourrait aujourd’hui rentrer à Naples que pour y reprendre la chaîne du Monte-Sarchio.

L’amnistie ne s’étend qu’aux condamnés pour faits politiques de 1848 et 28119. Or, depuis dix années, de tous ceux-là les uns sont morts, d’autres ont fait leur temps. A quoi donc se réduit le bienfait royal? Bien plus, comme l’amnistie ne s’applique qu’aux cas de condamnation aux fers, à la réclusion, à la relégation et à l’emprisonnement, ceux qui ont été condamnés à mort par contumace, et ceux qui sont frappés de l’exil demeurent par là même exclus. De telle sorte que le général Ulloa, par exemple, aujourd’hui général en chef de l’armée toscane, et honoré de la confiance des deux souverains, S. M. _le roi de Sardaigne et S. M. l’empereur des Français, ne pourrait rentrer à Naples que pour y être jeté au bagne.— Voilà ce qu’on appelle l’amnistie du nouveau roi de Naples.

Des milliers de citoyens étaient portés sur des listes de suspects, astreints a la plus rigoureuse surveillance de la police, éloignés de toute carrière libérale. Croit-on que les listes de suspects soient abolies? Non. On leur promet seulement que la police leur sera moins sévère.

Ce décret rendu sous le nouveau ministère du prince de Satriano, Charles Filangieri, rappelle la proclamation qu’il adressait aux Siciliens en 1849, comme commandant en ‘chef de l’expédition. Après avoir promis une amnistie générale, il excluait nommément quarante-trois personnes des plus considérables du pays, et en chassait des milliers. il n’en disait pas moins: «Sa Majesté a puisé dans son cœur très-saint, siégé de toutes les vertus généreuses et magnanimes, le dessein de combler les vœux des Siciliens en leur donnant pour son représentant le plus précieux joyau de sa couronne, son fils premier-né.... Parler ici des mérites de cet ange de roi actuel alors âgé de treize ans), ce serait ne rien apprendre à personne, car il n’est pas un coin de ce pays qui ne retentisse du bruit de ses vertus éminentes et splendides. Il unit à une sagacité profonde la bonté que Dieu a scellée de son sang dans l’Évangile...

Le roi, qui est une source inépuisable de clémence, délie les fers des prisonniers siciliens et. les renvoie tous sains et saufs dans leurs familles désolées, à l’exception de quelques chefs...» (Proclamation de Palerme, 20 mai 1849).

Les nombreux proscrits siciliens de 1849 restent proscrits en 1859. Et pourtant le même prince de Satriano avait écrit le 7 mai 18/49, de Misilméri, à M. le consul de France: «Le lieutenant-colonel Nunziante, qui n’a pu rejoindre Sa Majesté, en ce moment a Velletri, est porteur de l’amnistie générale, et sans exception, que l’on attendait de la munificence royale. Puisse cet acte de générosité, dont les exemples sont rares dans l’histoire de tous les temps, préserver Palerme des terribles désastres dont elle est menacée. Je vous serai très recoinnaissant si vous voulez bien en donner communication, non-seulement à M. Rayneval, mais à tous les consuls résidant à Palerme.» Et l’ambassadeur de S. M. britannique, lord Temple, adressait le 16 septembre 1849, au gouvernement de Sa Majesté le roi de Naples, la note suivante: «Le peuple de Palerme ne s’est soumis aussi tranquillement à l’autorité du roi de Naples que sur l‘assurance qui lui a été donnée que le roi observerait fidèlement la promesse faite sur sa parole royale, qu’une amnistie générale serait accordée à ses sujets siciliens. C’est pourquoi, considérant la part que les officiers anglais ont prise à cet accommodement pacifique, le gouvernement de S. M. Britannique croit de son devoir de manifester sa ferme espérance que la parole royale ne sera pas violée, et que l’amnistie sur la foi de laquelle les Palermitains ont fait leur soumission sera accordée par le gouvernement du roi en Sicile.»

L’avènement du nouveau roi semblait devoir être une époque de réparation. Si le décret d’amnistie partielle du 16 juin dernier n’était converti en décret d’amnistie générale, comment pourrait-on y voir autre chose qu’une insulte à la France et à l’Angleterre?

Les instructions données par le comte de Malmesbury à lord Elliot, lors de la reprise des relations diplomatiques avec la cour de Naples, portaient: «Le gouvernement de Sa Majesté compte que la reprise des relations diplomatiques offrira au gouvernement napolitain une occasion de s’expliquer sur sa politique future, Sa Majesté pouvant entretenir l’espoir raisonnable que le commencement d’un nouveau règne sera inauguré par un nouveau système d’administration intérieure. Vous direz confidentiellement que la teneur de la proclamation du roi, lors de son avènement, et l’absence de toute allusion à l’amnistie pour délits politiques, et de la révocation d’un décret émané du dernier roi, le 27 décembre passé, pour le jugement par la loi martiale des personnes arrêtées sur la vague accusation d’avoir attaqué la sûreté de l’État, ont produit un grand désappointement sur le gouvernement et le peuple de ce pays.»

Il faut dans les Deux-Siciles, un gouvernement constitutionnel. La nation ne peut plus y être pressurée, torturée, mitraillée au gré des caprices d’un jeune homme ou des intrigues d’une camarilla. La royauté a trop abusé du pouvoir absolu pour que la nation ne sente point la nécessité de contrôler ses actes. Le peuple a versé trop de fois son sang aux cris de: Vive la Constitution 1 pour qu’on puisse prétendre que ce ne soit pas le vœu général de la nation. La Constitution est le premier pas pour le relèvement des mœurs publiques: elle seule, aujourd’hui, peut tirer la noblesse de l’avilissement on l’a réduite la toute-puissance royale, ouvrir à l’intelligence de la bourgeoisie une carrière nouvelle, et arracher le peuple à l’abrutissement des superstitions. D’ailleurs, un État non constitutionnel en Italie sera bientôt une anomalie. Si, à la paix, il arrive que l’unité ‘soit ajournée et qu’il y ait une confédération italienne, des États constitutionnels seuls en pourront faire partie.

Conçoit-on, en effet, ce que serait une réunion de princes absolus et de princes constitutionnels, les uns n’invoquant que leur bon plaisir, et les autres étant des organes de la volonté générale. La France et l’Angleterre conseillent à Sa Majesté François II le régime constitutionnel, dernière planche de salut de cette dynastie. Les Bourbons de Naples, en effet, se condamneront sans retour en faisant moins que n’ont fait les Bourbons d’Espagne.

On essayera de donner le change à l’opinion-au moyen de prétendues réformes décrétées par l’autorité royale, à savoir: promesse d’épurations administratives et changements de fonctionnaires, modifications d’impôts, constructions de routes. Le grand progrès aux yeux de certaines gens, c’est un réseau de chemins de fer. Mais les Autrichiens n’en avaient-ils pas construit en Lombardo-Vénétie, et les Lombards et les Vénitiens en étaient-ils plus heureux?

Il ne faut plus de Constitution que le roi donne aujourd’hui, puis retire demain. Toute Constitution qui n’est pas un contrat réel entre le roi et le peuple est un leurre. Toute Constitution que le peuple n’a pas le pouvoir de maintenir lui est enlevée. La Constitution de 1820 a été détruite dans les Deux-Siciles par le roi à l’aide des Autrichiens. Les Autrichiens ont été ensuite remplacés par une garde suisse, et la Constitution de 1848 a été détruite par le roi à l’aide des Suisses. Ce sont les Suisses aussi qui ont aidé le roi de Naples à détruire la Constitution sicilienne. «Je doute, écrivait le correspondant du Times (Naples, 26 septembre 1848), que sans les Suisses, les Napolitains eussent jamais pu prendre Messine.»

C’est une honte que les enfants d’un pays libre servent  à détruire la liberté chez les autres. Le conseil national suisse l’avait compris, lorsque le 25 mai 1849 il fit le décret suivant:

«1° Les capitulations militaires sont déclarées incompatibles avec la dignité et l’honneur de la Confédération. 2° Le conseil fédéral est invité à ouvrir sans délai les négociations nécessaires pour obtenir la résiliation des capitulations militaires encore existantes, et à faire un rapport sur les résultats obtenus, ainsi qu’à soumettre à l’assemblée fédérale des propositions y relatives. 3° Le conseil fédéral est en outre chargé de prononcer et de faire exécuter au nom de la Confédération, la suppression des capitulations, si les troupes suisses capitulées devaient être employées pour intervenir dans un autre État ou, contre le principe du droit d’un peuple, à se constituer librement. le Tout recrutement pour service militaire étranger est interdit dans toute l’étendue de la Confédération.» 11 y manquait une sanction analogue à celle de l’article 21 du Code Napoléon: c Le Français qui, sans autorisation de l’Empereur, prendrait du service militaire chez l’étranger ou s’affilierait à une corporation militaire étrangère, perdra sa qualité de Français.» La dernière capitulation avec Naples a expiré le 15 juin 1859, et immédiatement le gouvernement fédéral a fait injonction aux régiments de Naples d’enlever de leurs drapeaux l’Ours, blason bernois. A la suite des atrocités commises ‘a Pérouse, le 20 juin, par les soldats du pape, le consul général suisse à Turin, M. Geisser, en a de suite décliné la responsabilité en écrivant: «Avec l’État pontifical, il n’existe aucune capitulation. L’État de Lucerne en avait fait une en 18%, mais elle fut abolie par le gouvernement cantonal. Ce ne sont pas des Suisses qui ont ravagé l’épouse, mais un ramas d’hommes de toutes les nations qui n’ont de Suisse que l’habit rouge.» De telles protestations honorent la République suisse. Mais elle ne doit pas s’en tenir là. Elle aura sans doute à cœur de prendre promptement des mesures efficaces, en décrétant que tous ceux qui entacheraient dorénavant le nom suisse en se louant ainsi à des despotes étrangers, perdront leur qualité de Suisse, et ne pourront plus jamais remettre le pied sur le sol de la Confédération helvétique, et en donnant à ceux qui sont dans ce cas l’ordre de rentrer dans leur patrie sous le plus bref délai.

Les mercenaires étrangers sont toujours un grand danger pour le gouvernement qui les emploie. S’ils lui servent pour un temps d’appui, toujours ils finissent par le perdre. Un gouvernement qui prend à son service des mercenaires étrangers, avoue par là même que la nation le repousse, qu’il s’impose à elle et qu’il nerègne que par la force: c’est une des causes les plus puissantes d’exaspération populaire. On se souvient comment la résistance des Suisses, au 10 août, précipita Louis XVI et sa famille dans la tour du Temple, comment le sang des Parisiens versé sur les marches des Tuileries par les mains des Suisses, appela la terrible représaille du 21 janvier. Toujours, à la longue, un pouvoir assez antinational pour être obligé de former sa garde de troupes étrangères, est renversé. D’autre part, celui qui entretient chez lui des Suisses pour contenir son peuple, perd le droit de dire qu’on ne doit point se mêler de ses affaires intérieures. Tout prince qui ne règne que par l’appui de l’étranger, légitime par là même l’intervention d’une autre puissance en faveur du peuple qu’il opprime. Donc les Suisses doivent être renvoyés de Naples.

Les Suisses restant à Naples, que signifierait une Constitution qui pourrait demain être de nouveau détruite par les Suisses? D’un côté, s’il est vrai de dire qu’une amnistie sans Constitution serait ridicule, puisque les exilés en rentrant seraient sans sécurité, de l’autre il faut convenir que la Constitution fonctionnerait malaisément sans constitutionnels. Or, tous les personnages constitutionnels ont été emprisonnés ou exilés. D’où la conséquence que l’amnistie complète, la Constitution et le renvoi des Suisses, ne doivent être qu’une seule et même mesure.

Il semble que le gouvernement napolitain ait retourné la devise que Napoléon a transmise à sa famille et qui est: Tout par le peuple et pour le peuple. Car la devise des Bourbons de Naples est évidemment: Tout sans la nation et contre la nation. Mais cela ne peut plus durer.

En attendant, on a déjà beaucoup perdu de temps, et l’on en veut perdre encore. La cour de Naples sait l’importance qu’il y a pour elle à leurrer la nation pour qu’elle consente a laisser passer l’heure. Les prétextes ne manquent pas. Dans les mois, d’agonie du feu ’roi, on disait: «Attendons le nouveau règne.» Puis vint la période du deuil. On dit alors: «Attendez l’entrée solennelle que le roi de Naples fait, selon l’usage, le trentième jour de son avènement. n La dose de concession est-elle jugée insuffisante? Aussitôt on répond: «C’est un premier pas pour ménager la transition; un changement trop brusque ne serait pas sans danger. Au reste, les progrès lents sont les plus sûrs. La modération n’est pas moins nécessaire aux peuples qu’aux gouvernements.» Formules pour se dispenser d’aucune mesure décisive. Un condamné à mort à qui on laisserait provisoirement la vie, mais sans la lui garantir, serait-il dans une position bien enviable? Or, c’est précisément celle du peuple des Deux-Siciles aujourd’hui.

Une influence fatale pèse depuis un siècle sur la cour de Naples, l’influence autrichienne. Inaugurée, en 1768, par le mariage de l’archiduchesse d’Autriche, Marie-Caroline, avec le roi Ferdinand des Deux-Siciles, elle a été scellée au lendemain du traité général de Vienne, du 9 juin, par l’article secret du traité du 12 juin 1815 qui porte: u Que S. M; le roi des Deux-Siciles n’admettra pas de changements qui ne pourraient pas se concilier soit avec les anciennes institutions monarchiques, soit avec les principes adoptés par S. M. I. et B. pour le régime intérieur de ses provinces italiennes.» Les Napolitains s’étaient soustraits, en 1820, à cette influence; ils y furent remis violemment en 1821. Ce que les baïonnettes ont fait, les baïonnettes seules peuvent le défaire.

Il ne suffirait pas aujourd’hui que le roi de Naples dise qu’il n’existe plus de traité secret entre lui et l’Autriche. Il faut, pour qu’on y croie, que le traité secret soit détruit par les armes, à la face de l’Italie et de l’Europe.

Or, au moment même de la mort du roi, le ministre des affaires étrangères du royaume de Naples publiait la déclaration suivante:

«En présence de la guerre qui vient d’éclater dans la haute Italie, le gouvernement de Sa. Majesté, d’accord avec les principes de stricte neutralité professés dans tous les temps et, dans les circonstances présentes, déjà officiellement reconnus, s’empresse de manifester, de son côté, la volonté d’observer scrupuleusement tout ce qui concerne les droits internationaux, en temps de guerre, vis-a-vis le commerce et la navigation des neutres, et tout ce que le Congrès de Paris du 16 avril 1856 a établi à cet égard.»

Et peu de temps après, le ministre de l’intérieur édictait les dispositions destinées à servir de règles à cette neutralité.

Toutefois, en voyant le général Filangieri appelé au ministère, on s’est remis à croire à la participation de Naples à la guerre de l’indépendance. On aimait à rappeler que le général Filangieri avait débuté à Austerlitz, qu’il avait été aide de camp du roi Joseph et du roi Joachim; qu’en 1815 c’est lui qui, au nom de Murat, porta la déclaration des hostilités au général autrichien comte de Bellegarde, gouverneur de la Lombardie; puis, le jour de la bataille, fut grièvement blessé à côté du roi. Quelques mois auparavant, c’est à lui qu’on avait dû d'être prévenu d’un projet d’assassinat qui menaçait la vie de l’empereur Napoléon a l’île d’Elbe, ainsi qu’on le lit dans les Mémoires du roi Joseph: «Vous sentez que je ne puis rien espérer d’un Bourbon, et que je n’ignore pas que le duc d’Orléans a été de moitié dans le projet tramé contre mon frère l’empereur Napoléon en 184:, peu de mois avant son départ de l’île d’Elbe. Vous n’ignorez pas qu’il fut dévoilé par le général Filangieri...

Si_l’ancien comte d’Artois était encore sur le trône, et si je ne craignais pas de voir ma patrie tomber sous le gouvernement ‘d’un homme qui ne vaut pas mieux que Charles X, je ne compromettrais pas le général Filangieri...» (Lettre du roi Joseph au général Lamarque. New-York, 5 septembre 1880. ) En 1820, le général Filangieri soutint la Constitution, et, après l’invasion autrichienne, fut éloigné. Si, plus tard, sous le roi ‘Ferdinand II, il fut employé à des œuvres de répression et de. despotisme, on s’est plu à penser que le bruit du canon français réveillerait chez lui un peu de l’ardeur de ses beaux jours, qu’il tiendrait à honneur d’ensevelir les pénibles souvenirs des bombardements de l’année 1848 et des exécutions sommaires de Sicile dans la gloire d’une guerre nationale. Le voudra-t-il? Il y a peu à espérer. De tels efforts sont toujours difficiles et deviennent presque impossibles quand on est sur le tard de la vie.

La Gazette de Lyon écrivait le 22 mai: «Le parti libéral, malgré ses rancunes bien fondées, se montre à Naples disposé à en faire le sacrifice sur l’autel de la patrie, à la condition que le ‘nouveau règne soit inauguré par l’alliance avec le Piémont et la France et l’envoi de troupes en Lombardie. Si la dynastie laisse échapper une telle occasion, on la considère comme inévitablement perdue. Des personnages très-haut placés commencent à comprendre cette vérité. Le gouvernement sarde serait heureux de voir entrer neuf millions d’Italiens dans le mouvement actuel avec une armée de cent mille hommes, dont au moins la moitié pourrait être envoyée en Lombardie, pour porter l’armée italienne, entre Piémontais, Toscans et Napolitains, à cent quarante mille hommes, sans compter quinze à vingt mille volontaires. Le gouvernement français serait. sous le rapport financier, un peu moins grevé, et rassurerait encore mieux l’Europe sur le désintéressement avec lequel il aborde la question italienne... La guerre aurait plus de chances d’être localisée.»

— On a pu lire dans la Gazette autrichienne du 22 juin: «Nous apprenons de bonne source qu’il n’y a pas le moindre fondement dans les bruits qu’on fait courir touchant le général Filangieri, le premier ministre actuel. On prétendait que le parti national de Naples trouvait en lui un appui pour ses projets en faveur du Piémont, et que le général lui-même avait conseillé avec instance de mobiliser un contingent pour le mettre à la disposition du Piémont; rien de cela n’est vrai, attendu que, dans les circonstances actuelles, le roi de Naples est décidé à garder la plus stricte neutralité.» La neutralité de la cour de Naples a toujours été une hostilité déguisée contre la France. Il n’y aurait donc pas à s’étonner qu’elle désirât le succès de l’Autriche, qu'elle l’y aidât au besoin si elle l'osait. La cour de Naples est bien profondément inféodée à la cour de Vienne: et cette inféodation la perdra. A voir l’inauguration du nouveau règne, il semble que le. temps soit proche où éclatera dans les faits la vérité de cette parole de l’ex-reine des Français, Marie-Amélie, à son neveu le roi Ferdinand II:

«La maison d’Autriche a toujours été fatale à la maison des Bourbons qui, peut-être, par une volonté secrète de Dieu, est entraînée vers elle avec la fatalité de l’aimant.»

L’Autriche est en train de sombrer. Il serait prudent pour les nacelles qui ne voudraient pas être entraînées dans l’abîme avec elle, de couper le câble..

Aussitôt après la mort du roi Ferdinand Il, M. de Hubner, ce vrai fils du prince de Metternich, est accouru saluer le nouveau roi. comme pour l’initier aux mystères de la diplomatie et lui transmettre «la bonne tradition d’une saine et sage politique.»

L’habile diplomate qui, comme ambassadeur à Paris, a si fortement contribué à jeter l’empire de son maître dans cette guerre déjà si désastreuse pour l’Autriche, ne peut manquer, comme ambassadeur à Naples, de donner au gouvernement qu’il dit vouloir préserver les conseils les plus propres à le perdre.

La neutralité se trouve appuyée à Naples par la Russie et par l'Angleterre, toutes deux neutres elles-mêmes dans la guerre actuelle. Il est naturel que la Russie témoigne de la bienveillance au gouvernement napolitain qui s’est refusé à prendre part contre elle à la guerre d’Orient. Mais il est singulier de voir l’Angleterre, qui avait tant injurié le gouvernement napolitain de ce qu’il ne se joignait point au Piémont pour la lointaine expédition de Crimée, tant insister aujourd’hui pour qu’il garde une stricte neutralité dans la guerre de l’indépendance italienne.

L’organe tory, le Morning-Hérald, disait le 24 mai: «L’Italie traverse maintenant une crise dans laquelle le patriotisme et l’habileté de ses enfants seront mis à une rude épreuve. Il est du devoir du nouveau roi d’observer une stricte neutralité, et en même temps de gagner la confiance de ses sujets, et, par des concessions légitimes, de faire disparaître le mécontentement, et de rendre l’insurrection impossible. Nous ne voyons pas qu’il puisse espérer un avantage sérieux en s’embarquant dans la guerre; et, s’il n’a rien à y gagner, il a bien certainement beaucoup à perdre à se laisser entraîner par le tourbillon. Quinze jours après, les Tories sortaient du ministère et faisaient place aux whigs. Que feront lord Palmerston et lord John Russell? On l’ignore. Quant aux affaires d’Angleterre, je ne puis rien conjecturer; ce n’est pas par la politique que les affaires s’y décident; mais par tel ou tel imbroglio intérieur,» écrivait Napoléon au roi Joseph, le 13 septembre 1806.

Si le roi de Naples croit pouvoir se’ concilier par sa neutralité l’appui de l’Angleterre, il se pourrait qu’il se trompât, et qu’après avoir irrité la France, il se trouvât tout seul à l’heure du danger. L’Autriche aussi avait compté sur l’Angleterre. Et le Times du 23 juin 1859, écrivait: «Nous venons de renverser un cabinet par la seule raison que le ministre des affaires étrangères était soupçonné d’avoir plus de sympathie pour l’Autriche que pour la Sardaigne.»

Le succès a produit son effet habituel. Déjà la presse anglaise qui, il y a peu de jours, était si malveillante pour la France, se rit de l’Autriche qu’elle considère comme irrévocablement perdue, et parle de sa restauration en Italie comme d’une idée ridicule. Le Morning-Post du 28 juin, dans un article qui avait un caractère officiel, et qui a été fort remarqué, disait: «La France et la Sardaigne ont pris l’engagement de donner la liberté à l’Italie... Aujourd’hui, après une pareille série de victoires, on peut sans présomption supposer que les armées alliées réussiront dans leur projet... C’est l’Autriche qui en a appelé à l’arbitrage de l’épée, et elle doit se soumettre à la fortune de la guerre.» Et il y joignait cette singulière consolation: «L’Autriche sera plus forte quand elle aura abandonné ses possessions italiennes.».

L’Angleterre, toujours préoccupée de retarder autant qu’elle le peut le développement complet de la nationalité italienne, et la création d’une grande marine rivale, conseille aux Deux-Siciles les réformes intérieures comme elle‘ les conseillait pour le reste de l’Italie. Mais les intérêts de la patrie italienne doivent passer avant tout. Les réformes sont bonnes, mais la guerre est excellente. C’est le cas de répéter à tous les Italiens: (Vous aurez toujours des misères intérieures à effacer; mais la guerre sainte de l’indépendance, vous ne l’aurez pas toujours.»

Il faut se hâter, car chaque instant qui s’écoule dévore des milliers de Français, de Piémontais, de volontaires italiens dans les plaines de la Lombardie et accumule les malédictions sur l’inaction du roi de Naples.

Il ne suffirait point, après une longue et perfide temporisation, que le roi de Naples, pour sauver sa couronne, se décidât à prendre part au dernier moment à la guerre, lorsqu’il serait déjà trop tard pour en influencer les résultats, mais dans la pensée d’en retirer quelque honneur sans en supporter aucune charge.

On ne tolérerait plus aujourd’hui le renouvellement de cette manœuvre du roi Ferdinand II, qui se déclara contre l’Autriche, fit une proclamation patriotique, envoya une armée contre les Autrichiens, puis la rappela au moment décisif, ce qui eut pour effet de tromper pour un temps les patriotes napolitains par une conversion simulée, puis de décourager les Italiens par un subit abandon. Le 7 avril 1848, Ferdinand Il avait dit à son peuple: «Votre roi partage avec vous ce vif intérêt que la cause italienne excite dans tous les cœurs, et tient par conséquent à contribuer à son triomphe... Déjà un envoi de troupes a été fait par nous par la voie de la mer, et une division est en marche le long de la mer Adriatique pour opérer de concert avec l’armée de l’Italie centrale. Les destinées de la patrie commune vont être décidées dans les plaines de la Lombardie, et chaque prince, chaque peuple de la Péninsule est dans l'obligation de prendre part à la guerre qui doit en assurer l’indépendance, la liberté et la gloire. Quant à nous, bien que des nécessités particulières (la  Sicile) soient de nature à paralyser une bonne partie de notre armée, nous avons l’intention de contribuer à cette guerre avec toutes nos forces de terre et de mer, avec. nos arsenaux et les trésors de la nation. Nos frères nous attendent au champ d’honneur, et nous ne ferons pas défaut partout où l’on combattra pour le grand intérêt de la nationalité italienne. Peuples des Deux-Siciles, serrez-vous autour de votre roi, restons unis pour être forts et pour nous faire redouter, et préparons-nous à la lutte avec ce calme qui vient de la conscience et du courage. Ayons confiance dans la bravoure de l’armée, qui saura, dans cette entreprise magnifique, représenter dignement l’État le plus considérable de la Péninsule...

Union, abnégation, fermeté, et l’indépendance de notre belle Ialie sera conquise. Que ce soit là notre unique pensée, et nul doute que vingt-quatre millions d’ltaliens n’aient bientôt une patrie puissante, une nationalité respectée, laquelle pèsera beaucoup plus dans la balance politique du monde.» Le 18 mai, le roi, par dépêche du ministre secrétaire d’État de la guerre et de la marine, prince d’lschitella, rappela l’escadre qui, déjà, se trouvait à Venise, l’armée qui déjà se trouvait à Bologne et à Ferrare. Une faible partie seulement persiste patriotiquement, malgré les ordres du roi, à passer le Pô, sous le commandement de leur général en chef, le brave Guillaume Pépé, s’enferma avec lui dans Venise et racheta, par son courage, le déshonneur que le roi imprimait aux armes napolitaines.

Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est que le roi François 11 se mette à la tête de son armée et la conduise lui-même dans la haute Italie, au camp franco-italien, tandis que sa flotte ira se joindre à la flotte franco-italienne, dans les eaux de Venise, Sinon, sur quoi compte-t-il pour empêcher son trône de voler en éclats? Aujourd’hui, à Naples comme en Sicile, tout est subordonné à la question de l’indépendance italienne. Mais si, après ces longs mois d’attente, son peuple, perdant à la fin patience, venait à se soulever, et que Naples et la Sicile se prononçassent pour la guerre, en acclamant la dictature du roi Victor-Emmanuel, qui donc viendrait prêter main-forte à S. M. François II, pour l’aider à mitrailler Naples et Messine, puisqu’on ne pourrait l’y aider sans faire acte d’hostilité contre la France. Il est douteux que, dans les circonstances actuelles, il puisse réprimer l’élan national, et assurément il n’y aurait plus de flottes complaisantes pour assister impassibles à une mitraillade de la capitale, pour laisser vingt mille hommes passer en Sicile et y recommencer un bombardement de Messine.

Déjà l’orage gronde. Est-ce que l’empressement avec lequel on se porte, dans les Deux-Siciles, aux consulats de France et de Sardaigne, pour avoir des nouvelles de la guerre, l’ovation continuelle qu’on fait aux représentants de ces deux puissances, l’ardeur qu’on met à lire les bulletins de l’armée d’Italie, les proclamations de l’Empereur et du Roi, qui font battre tous les cœurs, ne sont pas des signes certains? La popularité qui entoure le ministre de Sardaigne à Naples, et la joie avec laquelle fut saluée, lors de son passage à Messine, l’escadre française qui va délivrer Venise, montrent assez ce que pense et veut le peuple des Deux-Siciles. Déjà, depuis plusieurs années, chacun fait la comparaison de la conduite despotique et égoïste de la cour de Naples, et de la conduite si libérale, si patriotique du cabinet de Turin qui, après s’être laborieusement appliqué à réparer les désastres infligés par l’Autriche, releva glorieusement en Crimée le drapeau national, puis, au Congrès de Paris, prit en main la défense de la cause italienne. On sait apprécier l’habileté du ministre comte de Cavour, qui resserra avec la France cette union dont l’Italie recueille les fruits. On admire la fermeté avec laquelle le roi Victor-Emmzinuel s’élança résolument dans les chances de cette grande lutte, la bravoure qu’il déploie en menant ses régiments au feu, «sans autre ambition que celle d’être le premier soldat de l’indépendance italienne.»

Quand la guerre a éclaté, beaucoup accusaient en Europe l’ambition de la France. L’Empereur a de suite fait connaître ses intentions désintéressées, en déclarant qu’il allait en Italie'«non pour la faire changer de maître, mais pour la rendre à elle-même.» (Proclamation du 3 mai. )

Et il donna le gage le plus solide de son désintéressement en armant les Italiens, en les associant le plus possible à la délivrance de leur patrie. Voulant se retirer aussitôt après la campagne, il a dû naturellement désirer que l’Italie pût se défendre elle-même: et un peuple défend d’autant mieux son indépendance qu’il a contribué davantage à la conquérir. Aux efforts que nécessite la guerre actuelle de la part de la France et de la Sardaigne, les Italiens doivent comprendre combien il leur eût été difficile de s’affranchir tout seuls. Par conséquent ils doivent, aujourd’hui que l’occasion est si propice, ne reculer devant aucun sacrifice pour obtenir cette délivrance tant désirée, et la consolider dans l’avenir. Il importe beaucoup qu’un grand royaume italien comme les Deux-Siciles, ne reste pas en dehors du mouvement national non-seulement parce qu’il est immoral que, tandis que les Italiens du Nord prodiguent leur sang et leurs biens pour la patrie, les Italiens du Sud ne fassent rien pour elle; mais encore parce qu’il serait dangereux qu’à la paix et après le départ de l’armée française, il demeurât à Naples cent mille hommes de troupes fraîches à la disposition de l’Autriche, soit pour l’aider à recommencer la lutte, soit pour entraver toute liberté en Italie. Les diverses parties de l’Italie ont presque toutes déjà répondu à la pensée de l’Empereur. Les Deux-Siciles ne peuvent s’abstenir sans danger pour l’avenir de la patrie italienne.

En apprenant comment les Piémontais ont été victorieux à Palestro, comment à Solferino ils ont repoussé le choc des masses autrichiennes, chacun regrette de n’y avoir pas été et voudrait partir. Le roi François Il n’en donnera-t-il pas le signal?

Déjà partout en Italie, on lit avec enthousiasme cette proclamation si noble que S. M. le roi Victor-Emmanuel vient d’adresser sur le champ de bataille aux troupes italiennes victorieuses.

«Soldats

«En deux mois de guerre, des rives envahies de la Sesia et du Pô, vous avez couru, de victoire en victoire. aux rives de Garde et du Mincio. Dans l’itinéraire glorieux que vous avez parcouru en compagnie de notre généreux et puissant allié, vous avez donné partout les plus éclatantes preuves de discipline et d’héroïsme.

«La nation est fière de vous; l’Italie entière, qui compte aver orgueil dans vos rangs ses meilleurs enfants, applaudit à votre bravoure; et, de vos exploits, elle tire d‘heureux présages, et la confiance dans ses destinées à venir. Aujourd‘hui, il y a eu une nouvelle grande victoire. Vous avez encore répandu votre sang et triomphé d’un ennemi très nombreux, que protégeaient les plus fortes positions.

«Dans la journée désormais célèbre de Solferino et de San-Martino. vous avez repoussé, combattant dès l’aube du jour a la nuit close, précédés par vos chefs intrépides, les assauts répétés de l’ennemi, et vous l’avez force’ à repasser le Mincio, laissant entre vos mains et sur le champ de bataille des hommes, des armes et des canons. De son côté, l‘armée française a obtenu de semblables avantages et une gloire semblable. donnant de nouvelles preuves de cette bravoure incomparable qui, depuis des siècles, appelle l’admiration du monde entier sur ses héroïques bataillons.

«La victoire a coûté de graves sacrifices; mais, par ce noble sang, largement versé pour la plus sainte des causes, l’Europe apprendra que l‘Italie est digne de figurer parmi les nations.

«Soldats! dans les précédentes batailles, j’ai souvent eu l’occasion de signaler à l’ordre du jour les noms de beaucoup d‘entre vous. Aujourd’hui, je porte à l’ordre du jour l’armée tout entière.

«Au quartier général principal, Rivoltella, le 25 juin 1859.

«VICTOR EMMANUEL»

Est-ce que ces paroles chevaleresques n’exciteront aucune émulation dans le cœur du jeune roi de Naples? Chaque heure d’abstention mine sa dynastie. La couronne des Deux-Siciles n’est déjà plus à Naples: elle est dans la haute Italie.

Voudra-t-il aller l’y reprendre? S’il ne le voit pas aujourd’hui, demain il sera trop tard. Demain les peuples ne voudront plus reconnaître pour roi un prince qui n’aura pas voulu être prince italien.

Si le roi de Naples persistait dans une neutralité anti-nationale, il ne saurait échapper à la proclamation de la dictature qui, comme l’a dit le Moniteur du 24 juin, «est offerte de tous côtés en Italie au roi de Sardaigne et qui, tout en réunissant les forces communes dans une même main, a l’avantage de ne préjuger en rien les combinaisons de l’avenir.» Il faut, en effet, chasser aujourd’hui les Autrichiens: demain l’Italie sera réorganisée conformément au libre vœu des populations.

Une circonstance favorable se présente-pour le roi de Naples, puisqu’elle lui permet de récupérer en partie le temps perdu. Une suspension d’armes vient d’être convenue entre l’empereur des Français et l’empereur d’Autriche. (Valeggio, 7 juillet). Mais «il ne s’agit que d’une trêve entre les armées belligérantes qui, tout en laissant le champ libre aux négociations, ne saurait faire prévoir, des à présent, la fin de la guerre.» (Moniteur du 8). Après les pertes énormes subies par l’Autriche, c’est une bien grande preuve de modération que donne l’empereur Napoléon en lui accordant quelques jours de repos. Ce sont de ces généreuses imprudences qui s’expliquent parle sentiment de la force irrésistible que l’on a dans les mains. Un délai est donné à l’Autriche pour qu’elle ouvre les yeux sur ses périls, pour que les puissances aient le temps d’exercer sur elle leur pression salutaire, ou, qu’au besoin, les peuples divers qui composent son armée puissent comprendre mieux que dans la chaleur du combat, qu’ils se battent pour une cause étrangère. A une époque de civilisation comme celle où nous sommes arrivés, il est pénible que chaque progrès doive être acheté par une si grande effusion de sang.

Mais quelque désir qu’on ait de voir la raison se substituera la force dans la solution des questions internationales, il est difficile d’imaginer que la paix sorte du présent armistice. Car l’empereur Napoléon s’est engagé à rendre «l’Italie libre jusqu’à l’Adriatique, r et l’orgueil de l’Autriche ne semble pas encore assez abattu pour qu’elle se résigne sans nouvelle défaite à cet acte de justice. C’est donc ‘dans ces jours que vont se peser les destinées du royaume des Deux-Siciles. Tout dépendra de la sagesse du roi ou de l’énergie des populations.

9 Juillet‘ 1859.

FIN.














Nicola Zitara mi chiese diverse volte di cercare un testo di Samir Amin in cui is parlava di lui - lho sempre cercato ma non non sono mai riuscito a trovarlo in rete. Poi un giorno, per caso, mi imbattei in questo documento della https://www.persee.fr/ e mi resi conto che era sicuramente quello che mi era stato chiesto. Peccato, Nicola ne sarebbe stato molto felice. Lo passai ad alcuni amici, ora metto il link permanente sulle pagine del sito eleaml.org - Buona lettura!

Le développement inégal et la question nationale (Samir Amin)










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